jeudi, 12 octobre 2006
Et comme tremble d'exulter, de Gabriel Le Gal (in Casse n° 5)
A la lisière somptueuse
Il allait avec son amour dans l’automne
Son si frêle amour
Elle se serra contre lui un peu plus
Comme ils entraient
Dans les couleurs
*
D’avoir pris la neige
Le temps d’une nuit
Les champs,
Cela les réveille
Cela les révèle
au ciel aux arbres
à eux-mêmes
ils ne se savaient plus si bien dessinés
(le rang de maïs devenu clôture de bambou)
La route, elle,
En perdition
Dérobée
Sous les tourbillons
*
Les champs jaunes près de l’eau bleue
et les chaumes pointés des maïs
et l’épaisseur de l’air et l’instant
les voilà ensemble qui bougent
les mots aussi s’émeuvent
(peut-être même que c’est eux qui ont commencé)
et cela vient au devant s’ajuste se trouve
jusqu’à l’espace exultant et serré du poème
(et les champs jaunes avec l’eau bleue
ici dans les mots fragiles peut-être sont sauvés)
*
Dans la nuit qui est partout
La nuit un peu plus
Et si bien gardée
Des tulipes
*
Cette ardeur des crêtes
Et tout brûle
Jusqu’aux vallées les plus hautes
Le vent éclaircit la lumière
Fouaille les couleurs ; c’est trop
Il pleuvra demain
Les neiges, leur épaisseur irradie
Dans l’air partout une fièvre d’échange
Sans qu’on sache ce qui se dit
*
Au long des routes ces coupes de bleu plain
entre les colzas
ces offrandes portées
Déjà la ville de là-haut avait été
pure pierrerie
pure existence dans le bleu
et cet or maintenant dans nos rues
cet allant
la fraîcheur des carènes
*
Ouvrant la fenêtre
La neige
La première neige
(elle a tout son temps)
Je l’ai saluée
Comme on salue le printemps
*
Les peupliers encore
Ce village qu’ils font dans le bleu
Bonheur à tenir la lumière
A s’en entretenir
*
Et le chat vient se frotter à la pierre tombale
à la jambe de la femme
qui arrange les fleurs
il ne sera pas repoussé
il est le seul
à venir jouer ici
parmi les morts
In Casse n° 5
Et comme tremble d’exulter, dont sont extraits ces textes, a été édité en 1988, illustré par des aquarelles de Danièle Crouzet-Robert, chez Alain Paccoud, typographe à Bourg-en-Bresse.
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samedi, 07 octobre 2006
Textes peu sérieux, de Max Laire (in Casse n° 10 et 17)
14 vraiment très timides essais de réflexions peu sérieuses à mettre néanmoins en toutes mains
C’est par une fuite qu’un réservoir perd son essence.
C’est par une fuite que certains hommes la conservent.
*
Les rêves choisissent leur compagnie une gomme à la main.
*
Sans défenses, les éléphants seraient mieux armés pour vivre.
*
Même un analphabète peut coller une affiche.
*
Dans mon village tous les chiens aboient.
Pourtant, jamais une caravane ne passe.
*
Rien ne sert de crier : « Qui est là ? » quand on entend un bruit sourd.
*
Mariés sans progéniture, ils adorent avant tout le calme de leur intérieur. Aussi, utilisent-ils le langage des sourds-muets.
Toutefois, sans en abuser.
*
C’est dans les temps morts que je vis le plus.
*
Un tour de France est une révolution française.
*
Dans le village il est considéré comme un spécialiste.
Lui seul peut encore traire les vaches à la main.
*
Par respect pour les cigares qu’il fume, il a remplacé les cendriers par des urnes.
*
J’ai tellement de rêves que parfois j’ai la sensation de vivre en dormant.
*
Il n’aime pas les escargots sans jamais en avoir mangé.
Il n’aime pas les Juifs sans jamais en avoir rencontré.
En bref, il ne se fie qu’à son ignorance.
*
Notre entente était telle qu’elle lisait dans mes yeux et chaque fois qu’il fallait tourner la page, je fermais les paupières.
in Casse n° 10
Textes peu sérieux à mettre en toutes mains
Ne donnez des conseils éclairés que le soir.
Doutant de la réalité de tout, il devint faussaire.
Pour raccourcir sa solitude, elle marche à petits pas.
Des bougies expiraient, rejoignant le mort qu’elles veillaient.
Un stylo contient ses cartouches de chasseur d’émotions.
A l’horizon, des meules de foin usent le soleil.
Quand la solitude est trop forte, il sort et frappe à sa porte.
Pour bien montrer son ennui de ne plus voir personne, ostensiblement sa porte baille.
Existence.
Course relais de naissances.
Paupières.
Volets du sommeil.
Avec fermetures vendues en pharmacie.
Voûté par les ans, il put se pencher tendrement vers l’enfant.
Jadis, quand les photographies atteignaient leur automne, elles jaunissaient.
Ecrire.
Suivre sa voix, avec trois doigts.
Conversation intime.
Des mots qui, discrètement, changent de domicile.
Après avoir joué à vivre, disparaître comme un enfant qui joue à mourir.
Il la regarda partir.
Devenir de plus en plus petite.
N’être plus qu’un point.
Point final de leur aventure.
in Casse n° 17
07:48 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, Culture, Nouvelles et textes brefs
lundi, 02 octobre 2006
Tête de turc, de Joëlle Brethes (in Casse n° 19-20)
Le petit homme bedonnant se passa un kleenex sur le front avant de s'emparer de son sac de voyage pour se ruer joyeusement vers la guérite.
- Ca fait plaisir de rentrer au pays, fit-il aimablement en tendant son passeport au fonctionnaire.
Celui-ci se contenta de lui jeter un regard neutre tout en faisant signe à un collègue de le remplacer tandis qu'il s'installait à la guérite jumelle qui était inoccupée. Le petit homme blêmit et eut un regard de désespoir qui fit naître un vilain sourire sur les lèvres du fonctionnaire. Puis ce dernier glissa le passeport du voyageur dans le vérificateur laser et, le ressortant avec sévérité, il commença à en feuilleter les pages plastifiées incrustées de rondelles magnétiques.
- C'est quoi, exactement, votre nom ? attaqua-t-il en plissant les yeux sur une page.
- Valadinogigolopinsky...
- Pardon ?
- Valadinogigolopinsky... Paul, Lucas, Marcel Valadinogigolopinsky.
- Ah !
Le fonctionnaire eut une moue insultante et pianota sur son ordinateur.
- Vous avez pris l'airbus du 5 août 2002 pour Marseille et vous y êtes resté trois jours... Puis départ pour Bruxelles le 8, pour Londres le 12, pour Los Angelès le 19, pour Toronto le 23, et retour aujourd'hui 26 août après annulation de votre vol pour Sidney... Pourquoi avez-vous interrompu votre circuit ?...
Paul eut un moment l'envie d'envoyer l'indiscret se faire faire des choses pas très orthodoxes ailleurs. Mais s'il se l'aliénait, l'autre se ferait un malin plaisir d'allonger son interrogatoire et il subirait un nouveau retard avec tous les désagréments que cela comportait. Il se maîtrisa donc et expliqua patiemment que des petits problèmes personnels l'avaient contraint à rentrer plus rapidement que prévu.
- Des "petits problèmes personnels", hein ! fit l'employé méchamment. Et il se remit à feuilleter le passeport.
Paul jeta un regard pitoyable sur les voyageurs qui, de part et d'autre de lui, avançaient, montraient leurs papiers et disparaissaient, les bienheureux ! dans le couloir menant aux tourniquets.
Il allait encore se faire avoir, comme en février précédent, c'était sûr !...
- Ca vient d'où, votre nom ?
Paul sursauta et se cabra. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, à cet employé tatillon et antipathique. Mais de nouveau il s'exhorta au calme. Il énonça humblement ses origines et reconnut bien volontiers sa naturalisation. De toute façon, il était 100 % européen, bien sûr, et français depuis plus de 25 ans.
- Je vois, fit le fonctionnaire en louchant sur le teint olivâtre de sa victime et en reprenant son exploration dans le passeport dont il commençait à connaître par cœur le contenu. Et qu'est-ce que vous avez fait pendant ces trois semaines hors du territoire ?...
Encore une question indiscrète qui empourpra les joues du petit homme et lui mit un éclair meurtrier dans les yeux... Il jeta un regard excédé autour de lui mais ne trouva personne à prendre pour témoin de son exaspération grandissante. Les guérites étaient désertes depuis quelques dizaines de secondes et lui, en tête à tête avec cet escogriffe glabre et blême dans cet odieux uniforme qui lui conférait tous les droits...
Un nouveau flot de passagers à dominante asiatique ne tarda pas à s'agglutiner dans son dos...
Pas de doute : quand il arriverait aux tourniquets des bagages, ce serait, de nouveau, pour y constater la catastrophe...
- Ce que j'ai fait pendant trois semaines ? cracha-t-il soudain au visage du fonctionnaire ahuri : des conférences, Monsieur ! Parfaitement : des conférences !... Si vous aviez un minimum de culture vous sauriez que nous fêtons cette année le bicentenaire de la naissance du grand Victor Hugo, et si vous aviez réellement lu mon passeport vous y auriez vu que je suis enseignant et conférencier : peut-être alors en auriez-vous tiré certaines déductions...
Fortement vexé, le policier cacha sa contrariété sous un sourcil dubitatif qui mettait en doute la parole de l'enseignant. Puis, négligeant la main impatiente qui se tendait vers le document, il décida de le soumettre à un nouveau passage au vérificateur laser assorti d'un nouveau pianotage sur son ordinateur.
- C'est parfait, conclut-il avec froideur en retirant le passeport de l'appareil et en le faisant enfin glisser vers Paul. Vous voyez bien qu'il était inutile de vous énerver, Monsieur... Monsieur...
- Valadinogigolopinsky ! fit sèchement Paul en saisissant avec avidité le petit carnet plastifié.
Puis il se rua vers le hall des bagages. Peut-être, après tout, était-il encore temps pour lui de récupérer la valise contenant les précieux documents sur son auteur préféré. On lui avait interdit, à l'enregistrement canadien, de conserver en cabine les lourds dossiers et il avait dû, à contrecœur, les ranger dans ses bagages... II avait déjà dans des conditions analogues perdu d'importantes notes sur Maupassant et, plus tard, sur Rimbaud... Au diable les nouvelles mesures appliquées dans ce maudit aéroport de Roissy depuis quelques années. Qu'est-ce qu'un aéroport où on ne peut plus flâner et où on ne dispose que d'une demi-heure pour récupérer ses affaires !
Une fois dans le fameux hall, il se précipita vers le tourniquet au dessus duquel un cadran lumineux indiquait les coordonnées de son avion. Quelques valises roulaient lentement vers lui et quelques voyageurs souriants.
II soupirait, apaisé, quand une série de déclics bouleversa les coordonnées du cadran et balaya ses illusions. C'est alors qu'il reconnut dans ces quelques passagers qu'il croyait retardataires comme lui, l'avant garde asiatique qui avait assisté à ses derniers démêlés avec le fonctionnaire de la guérite...
Trop tard ! Il était arrivé trop tard comme les autres fois !... Il eut un moment l'envie de quitter ce lieu maudit sans passer par le guichet obligatoire... Mais à quoi bon se faire infliger une amende supplémentaire ?
Une grande lassitude l'envahit tandis qu'il se dirigeait tristement vers le stand des "Bagages non réclamés/ Compactage". Il tendit son ticket à l'employé de service. Celui-ci lui fit un petit signe compatissant avant de disparaître derrière une grande porte coulissante en verre dépoli. Il en revint peu après, poussant sur un chariot un petit cube d'une vingtaine de centimètres de côté qu'il eut beaucoup de mal à transférer sur le comptoir.
- Qu'est-ce que vous aviez dans votre valise ? fit le jeune employé essoufflé par l'effort. C'est rudement lourd ! Ca va pas être facile à transporter. Vous voulez peut-être que je dédensifie ?
- A 90 %, s'il vous plait ! s'impatienta Paul.
- C'est le maximum, fit remarquer l'employé. Vous connaissez les tarifs ?
Et sur un signe affirmatif de Paul excédé, il disparut de nouveau derrière la vitre dépolie avec le petit cube sur le grand chariot.
Il y eut un curieux vrombissement... Paul fit un chèque, rangea le petit cube dans son sac de voyage, et sortit héler un taxi...
Une demi heure après, il déposait ce triste trophée auprès de quatre autres sur une étagère de sa bibliothèque...
21:18 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, culture, nouvelles et textes brefs
mardi, 26 septembre 2006
babylön, alaska, d'Hervé Merlot (in Casse n° 9)
Babylön, alaska (extraits)
317 – Andouille frites
Parfois ça me prend.
L’envie d’une. Je les mange elle & elles
puis m’en vais au cinéma
ou au café
ou chez moi. & quelque
temps plus tard
je remets ça.
399 – Dragon
Les Asiatiques du dernier étage
ont acheté une voiture
qui leur ressemble : petite.
Mais elle fait un bruit d’enfer.
Je crains qu’ils n’aient réveillé le dragon.
442 – Aaaaaarrrgghhh
L’araignée dans l’plafond
on ne sait jamais
si c’est 40 ou 100 watts.
498 – Steak d’ours
La seule fois où j’ai rencontré
un ours nous nous sommes longuement
regardés sans mot dire ni grognement.
Puis il a pris la tangente & je
l’ai laissé faire malgré ma faim de loup
qui se serait volontiers satisfaite
d’un bon steak d’ours grillé.
556 – Lessive
Je lave chemises & caleçons
chaussettes mouchoirs T-shirts.
Les idées noires
je les donne à la blanchisserie.
569 – Mes chaussures m’aiment
Lavé j’enfile
mes chaussures
les lace & m’apprête
à partir.
Elles n’iraient
pas travailler
sans moi.
581 – Les Indiens sont encore loin ?
Je connais un poète. & j’en connais un autre.
Le cœur rouge bat toujours.
Il n’y a pas lieu de désespérer.
584 – Portrait d’un homme à femmes. 2
Il vous plaît.
Vous êtes déjà le tapis moelleux
sur lequel il étendra sa viande.
Vous êtes la pâte dentifrice
qu’il déposera sur sa brosse à dents.
Pensez qu’ensuite
il se rincera la bouche
& que chaque jour
il répète la même opération :
simple hygiène
buccale.
in Casse n° 9
06:30 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Culture, Poesie
dimanche, 24 septembre 2006
Fait divers, de Marie Motay (in Casse n° 5)
Longtemps son lit a occupé l'angle le plus sombre de la grande pièce où elle vivait. Le premier regard qui la balayait le matin déterminait son humeur de la journée : table poisseuse, mouches bruissantes au-dessus des assiettes sales, cheminée dégorgeante confondue depuis huit jours avec la poubelle, et les draps se raidissaient soudain en une vieille peau, sa salive se faisait acide et, en haut de la nuque, presque derrière l'oreille droite, sourdait, très loin mais imparable, le tam-tam de la migraine.
Le lit l'avait encore recrachée ce matin, mais le réveil avait été plutôt allègre. Elle n'avait pas insisté. Elle avait enfilé un long tee-shirt et des sandales, roulé, sans l'allumer, la première cigarette et avait marché vers le petit bois de châtaigniers, en bas du pré, derrière la maison, le long du ruisseau à sec. Le soleil n'était pas encore levé, mais le petit jour étirait déjà l'ourlet sombre des peupliers. L'air était humide et elle se gorgeait de la fraîcheur qui suintait autour d'elle. Elle marchait sans hésiter, sans flaner. Elle allait le retrouver, se frotter au grain rêche et tourmenté de son écorce, se blottir dans son cocon d'ombre fraîche et sucrée, s'apaiser à ses murmures silencieux. Elle avait souvent pensé que cet arbre lui donnait ce qu'elle s'obstinait à demander en vain aux hommes qu'elle aimait, la certitude de vivre. Sa présence, sa permanence, son accueil sans hâte et sans surprise des jours, des saisons, son don sans retenue de sève et de fruits d'été, sa sécheresse chaste l'hiver, tout en lui était vie. Il n'attendait pas de vivre, il ne s'exerçait pas à vivre, il était l'arrogance de vivre.
L'arbre était là, à quelques mètres. Des merisiers sauvages poussaient autour de lui sans lui porter ombrage. L'arbre était là, à quelques pas ; il lui paraissait soudain lointain. A travers les branches, des bribes de soleil, acides, qui l'éclaboussaient et la glaçaient. Elle sentait le poids de ses jambes, les contractions de ses muscles à chaque pas. L'herbe sèche du pré glissait maintenant sous ses pieds, ralentissant sa marche. Les ornières familières du sentier se creusaient sournoisement sous ses pieds et elle trébuchait.
L'arbre était là, à portée de bras, à portée de pas. Courir, courir vers lui, elle voulait courir. Mais les prêles squelettiques du bord du ruisseau la freinaient. Elle essayait de se souvenir de leurs attouchements à peine poisseux et ne savait qu'agiter les jambes pour se dégager de leur étreinte gluante. Elle ne baissait plus la tête sous les branches des noisetiers, elle les laissait lui cingler le visage, il fallait courir...
L'arbre était toujours là, feu-follet sautillant. La mousse spongieuse du pré avait investi ses oreilles, celle grise et émiettée des arbres se collait à sa peau. Un cri lui venait, du fond du ventre, du fond du cœur ; mais la mousse avait maintenant engorgé ses poumons, tapissait son palais et sa langue. Deux bâtons dans la gorge. Acidité âcre et douloureuse, paralysante des nèfles pas mûres. Une sève épaisse laboure et empoisse son corps...
Un pas, un pas encore. Ses bras se tendent, cherchent le soleil, tandis que dans l'herbe et la terre moite ses pieds poussent des racines. S'enfoncer dans le sol, s'élancer vers le ciel, ouvrir la bouche dans un hululement de chouette aphone, respirer, aspirer, expirer...
Elle s'arrache enfin à la terre.
Elle regarde, étonnée, les lambeaux de racines.
Elle sent son corps se tendre en un fil invisible.
Elle voit son regard fondre et n'entend plus sa voix...
Le Dauphiné libéré, 17 août...
"Une jeune femme trouvée morte dans un bois à 500 m de son domicile...
Il semblerait que Mme X ait succombé à un arrêt cardiaque au cours d'une promenade matinale dans les bois..."
in Casse n° 5
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jeudi, 21 septembre 2006
Ebauche d'une porte de jardin, de Jean-Gabriel Cosculluela (in Casse n° 4)
Ebauche d’une porte de jardin
à Daniel Vassart
la porte du jardin :
peu de mots
nous restent
hors le linteau
dépeuplé
d’ombre
hors l’éboulis
de bleus
*
la dernière porte
du jardin
et le défet
de ta mort
regarder
écimer
tes bleus
au bord de la lumière
le jardin
où patienter
« journalier
de mourir »
*
un fond de jardin
les talus
le chemin
très simple
des figuiers
les taillis
l’attente
encore
du visage
tourné
de ta voix
la dernière main
s’absentant
dans la lumière
« mouchoir
de silence »
*
comment oublier
une autre porte
qui donne
sur le noir
au sud
l’angle du mur
du bois
et de la terre
en bas
in Casse n° 4
© Jean-Gabriel Cosculluela, 1994
extraits de « Une porte de jardin » aux éditions de L’Arbre/Jean Le Mauve, 1994.
18:45 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, culture, poésie
lundi, 18 septembre 2006
Le coeur d'un enfant, de Bernard Kieken (in Casse n° 18)
La chambre est noire. Les volets battent ; le loquet qui les tenait ensemble vient de se briser sous l'effet de la tempête.
A intervalles réguliers, un éclair illumine la pièce. Un court instant, on a le temps d'apercevoir des jouets posés en équilibre instable qui ne demande qu'à s'effondrer.
A l'éclair suivant, on distingue un lit, une table de nuit. Le drap remue parfois mais se recroqueville à chaque fois que la lumière surgit du dehors.
- 1, 2, 3, 4, 5. Cinq kilomètres.
A l'intérieur du drap, la petite fille compte les secondes qui séparent l'éclair du tonnerre.
Une envie folle la tenaille : se lever, courir dans la chambre d'à côté et se blottir contre son père. Là, elle y serait en sécurité.
Mais il a bien recommandé en la bordant de ne pas le déranger, de respecter son sommeil. Il est très fatigué ; la journée a été éprouvante moralement et physiquement. Il doit se reposer.
- 1, 2, 3, 4.
Le tonnerre est là, tout proche. Effrayant.
Elle est seule face au fracas des ténèbres. Pas de frère, pas de sœur.
Maman est à l'hôpital. On l'a emmenée la nuit dernière. Les sirènes ont vrombi dans le silence, l'ont réveillée. Bruits de portes qui claquent, de pas précipités dans l'escalier.
Elle a ouvert la porte de sa chambre juste à temps pour voir sa maman dans une civière. Livide.
Papa a crié :
- Maman a un infarctus ! Je reviens, ma chérie.
L'ambulance a démarré. Le silence est revenu.
Elle est allée près de son bureau, a cherché la page des i dans son dictionnaire. Pas d'infarctus. Ce n'est pas un mot pour les petites filles.
Le Larousse de papa, lui, connaît le mot : "Lésion nécrotique des tissus due à un trouble circulatoire". Pas facile de comprendre le langage des adultes.
Assise sur son lit, elle s'est souvenue que la première fois, papa avait dit :
- Maman a mal au cœur !
Mal à la tête, mal aux dents, mal au ventre, elle sait ce que ça veut dire. Mais un mal au cœur, comment c'est ? Ca fait très mal, au point d'aller à l'hôpital ?
Son père n'a pas eu le temps de lui expliquer. Elle n'a rien demandé.
- 1, 2, 3 !
Elle s'enfouit un peu plus sous le drap. Une masse sombre a les bras levés au pied du lit. Elle ne l'a pas vue.
Ne pas crier. Ne pas pleurer. Papa pourrait entendre. Devenir grande, toute seule puisqu'on l'est et qu'on le restera toute la vie.
La main tâtonne, cherche la lampe de chevet. Elle ose s'aventurer plus loin, plus bas. L'orage se tait. Autant en profiter.
Elle rencontre la masse sombre, inerte qui s'anime tout d'un coup, mue par une vie nouvelle. Tout en prévoyant une retraite précipitée en cas d'attaque ennemie, la petite main empoigne un bras, le tire vers elle.
La masse s'élève, se retrouve dans les bras de la petite fille juste au moment où l'éclair dénonce le subterfuge.
- 1, 2 !
Sauvée ! L'ours connaît le geste qui rassure, celui qui fait sombrer dans le sommeil.
in Casse n° 18
Ce texte a été publié dans le recueil "Enfances cruelles", aux éditions de l'Agly.
13:35 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, culture, nouvelles et textes brefs
vendredi, 15 septembre 2006
Migraines, d'Hervé Lesage (in Casse n° 3)
Migraines
Il voit des avions glisser au-dessus de sa tête.
Très haut, sans bruit aucun, sans même abandonner une trace blanche au clair de ses yeux. Il entend des avions passer et repasser dans son crâne. Comme un vol de migraines.
Des avions qui ne se posent jamais. Pas même dans son sommeil.
Jean-Pierre
Ton gamin
déjoue sur la vitre
l'un des nombreux pièges du givre
D'instinct
son doigt y a trouvé
où tracer une serrure
et son œil
où naître au monde
Tu l'observes
et apprends ton ignorance
des choses simples
et rondes comme
les billes oubliées de tes huit ans.
Jérôme
Sous cette branche basse où tu vins te pendre, sous cette branche devais-tu faire grief aux oiseaux, leur chercher querelle de chanter comme au printemps parce que l'hiver n'en finissait plus de sourdre de ton ventre, pour mordre encore à même tes paupières.
Simon
Il dit :
- Je suis revenu, oui.
Et sur le seuil se pose, là où beaucoup avant lui ont lentement mangé la pierre des ans.
Son visage épouse bientôt la sérénité d'un lieu qui n'a pas changé depuis mille ans.
Il a dit :
- Je suis revenu, oui.
Puis il s'est tu. Se taira. Car tout a été dit déjà, au-delà de la parole, du possible, longtemps avant son retour, avant même son départ, et par de moins bavards que lui.
in Casse n° 3
Ces textes, dans des versions légèrement remaniées, ont été publiés dans le recueil Passage des Humbles (RétroViseur éditions, 2005).
07:22 Publié dans Archives de Casse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : litterature, culture, nouvelles et textes brefs, poesie
mardi, 12 septembre 2006
Entretien avec Roland Tixier (in Casse n° 6)
RENCONTRE AVEC ROLAND TIXIER, éditeur à l'enseigne du PRÉ DE L'AGE
La jachère du Pré
« Je risque un portrait-robot du poète moderne : loin d'être échevelé, livide, au milieu des tempêtes, il soigne son look et ses sponsors. Il lui pousse un attaché-case au bout du bras et une calculette à la place du cœur. Toujours en quête d'honneurs, si minimes soient-ils, il courtise plus l'Institution qu'un public potentiel. Une idée fixe : s'intégrer. Il n'est plus rebelle. Voilà bien ce qui nous sépare. »
*
Quinze ans d'activité, 100 recueils publiés : un travail irremplaçable pour la poésie. Roland Tixier a l'un des catalogues les plus riches et diversifiés de l'édition poétique actuelle. L'occasion était bonne de faire le point avec lui, sur son activité passée et future, et sur l'évolution des mœurs de la gent poétique. Et de recueillir le scoop de l'année : Roland arrête l'édition !
Jean-Jacques Nuel : As-tu réalisé les objectifs que tu te fixais au départ ? Quelle était alors la part du réalisme et celle de l'illusion ?
Roland Tixier : Au départ du Pré de l'Age je ne m'étais fixé aucun objectif, si ce n'est celui, général, d'être un intermédiaire entre un poète et des lecteurs possibles. Lorsqu'en 1978, en compagnie de Geneviève Bernard et de Pierre Prince - photographe - l'aventure a commencé, je ne me posais pas la question du réalisme et de l'illusion, j'agissais. Je publiais par plaisir, par nécessité. J'aimais être généreux.
JJN : Sais-tu combien d'exemplaires tu as vendus de tes mini-recueils ?
RT : Des dizaines de milliers.
JJN : Quel est le ressort qui permet de continuer, après quinze ans ?
RT : 15 ans ça suffit ! En 1995 le Pré de l'Age aura cessé de publier. Je suis heureux de "raccrocher", comme on dit dans le sport. Au fil du temps, de nouvelles passions se font jour. Je vais m'occuper de moi. L'édition c'est déjà du passé.
JJN : Le Pré de l'Age va-t-il disparaître, ou se transformer? Ou renaître?
RT : Le Pré de l' Age ne disparaît pas : les animations scolaires et autres vont continuer (de même pour la longue et concrète collaboration avec la Médiathèque Max-Pol Fouchet de Givors). L'activité va sensiblement diminuer cependant, du fait de la suppression de l'édition et de la diffusion par abonnement. On peut dire qu'il y a mise en sommeil, en jachère.
JJN : Si tu arrêtes l'édition. ne crains-tu pas de t'ennuyer ? Auras-tu une activité de substitution (billard, vélo ou sexe) pour user ton temps et ton énergie ?
RT : Pour l'instant, je vais être pour moi-même ma propre activité de substitution. Je vais surtout prendre du large. Je ne veux pas avoir de rapports raisonnables avec la poésie. Je veux rester l'amoureux, le passionné. Comme le dit Pierre Albaladéjo, à propos du rugby, "revenir aux fondamentaux".
JJN : Revenons un peu sur ces 15 ans de dévouement à la poésie. Si tu faisais la balance joies/ déceptions, de quel côté pencherait-elle ?
RT : La balance penche complètement du côté des joies. Même si les grandes joies ont été rares, leur fulgurance m'a aidé à vivre jusqu'à ce jour. Ces joies n'ont pas de prix. Mais il est temps d'en rester là.
JJN : Qui t'a aidé ? Qui ne t'a pas aidé ?
RT : Qui m'a aidé ? Moi-même en premier ! Le noyau dur des amis du Pré est restreint. Les fidèles se comptent sur les doigts d'une main. Ils se reconnaîtront. Je rends ici hommage à Pierre Prince, compagnon des premiers jours, dont l'amitié ne s'est jamais démentie. Il est l'infatigable créateur des couvertures des "petits livres". Le Pré de l' Age est autant à lui qu'à moi.
Mais la véritable et profonde aide est venue des auteurs et des lecteurs. En fait eux et moi, nous nous sommes bien entendus, et le Pré a poussé.
Qui ne m'a pas aidé ? Dans le monde de la poésie, comme ailleurs, on se pose souvent cette question : "Qui peut quelque chose pour moi ?" La question inverse est beaucoup plus rare.
JJN : As-tu demandé et bénéficié d'aides à l'édition ? D'une façon plus générale, que penses-tu des subventions à l'édition et à la diffusion ?
RT : J'ai demandé - et obtenu - une fois l'aide de la DRAC Rhône-Alpes. Je l'ai fait au moment où je traversais une crise d'identité. Après plus de dix années d'activité intense, rien ne me reliait à la Région. Je me sentais isolé, sans racines. Je remercie la DRAC de m'avoir, à ce moment, écouté et de m'avoir pour ainsi dire relié, situé géographiquement, au moment nécessaire.
Pour ce qui est des subventions, elles pourraient plus largement et équitablement concerner les revues, les éditeurs, en les aidant à régler des factures d'impression et d'affranchissement par exemple.
JJN : Admets-tu qu'on puisse ne pas aimer la poésie ? N'y a-t-il pas certains poètes qui vous dégoûtent de la poésie ?
RT : Oui, je l'admets. En fait, je crois qu'on aime des poèmes, des poètes, plus que "la poésie".
Il existe des poètes ennuyeux, mais rien n'oblige à les lire.
JJN : Après tant d'années à fréquenter le milieu des poètes et de la petite édition, quel jugement portes-tu sur cette gent littéraire ?
RT : J'ai toujours été en marge de la gent littéraire. Celle que je connais un peu est surtout lyonnaise. Elle m'apparaît triste, conventionnelle, et volontiers mondaine. Il flotte sur ce monde-là un petit air d'Education Nationale. Je risque un portrait-robot du poète moderne : loin d'être échevelé, livide, au milieu des tempêtes, il soigne son look et ses sponsors. Il lui pousse un attaché-case au bout du bras et une calculette à la place du cœur. Toujours en quête d'honneurs, si minimes soient-ils, il courtise plus l'Institution qu'un public potentiel. Une idée fixe : s'intégrer. Il n'est plus rebelle. Voilà bien ce qui nous sépare.
JJN : Peux-tu critiquer CASSE, sans en dire exclusivement du bien ?
RT : Casse est une revue vivante, incisive et contestataire. Je souhaite qu'elle avance dans le temps. Les lieux d'expression sont toujours trop rares. Je reste ce lecteur attentif.
(entretien réalisé en trogne-à-trogne puis par correspondance, la première séance effectuée chez Roland autour d'un délicieux plat de lentilles vertes du Puy)
in Casse n° 6
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samedi, 09 septembre 2006
Morte-eau, de Denis Winter (in Casse n° 4)
Les maisons que j'aimais n'ont jamais eu de fenêtres. Il n'y avait personne derrière les murs, les noms que l'on chuchotait ou que l'on griffonnait sortaient tout droit d'une fiction mal comprise. Je m'étais glissé sans mot dire sous la peau morte de l'enfance, et j'attendais la crue des sentiments. Peut-être m'avez-vous rencontré durant cette saison mensongère. Souvenez-vous, ce regard vrillé dans les ténèbres, cette enveloppe déchirée qui s'abîmait sous les pas des gens pressés, ce grain de sable qui n'enrayait jamais que sa propre mécanique...
Le temps passait moins vite qu'aujourd'hui. On eût dit qu'il attendait, lui aussi, quelque débordement qui tardait à venir, ou qu'il cherchait à se renverser sur lui-même, à se mettre en boucle pour simuler une éternité la plus vraisemblable possible. De fait, les événements se répétaient, tout paraissait convenu d'avance, on ne s'étonnait de rien, on s'ennuyait. Je m'ennuyais. J'étais l'élève puni, agrippé à son pensum comme un naufragé à sa planche, bien que le déluge n'eût pas commencé. Je me recopiais inlassablement, ligne après ligne, mais j'échouais encore à m'apprendre par coeur : à chaque page tournée, la mémoire se vidait, et tout restait à faire.
J'avais quelques amis que je ne rencontrais que la nuit, entre deux couches de sommeil. Nous nous hélions de loin, chacun posé sur sa colline, il fallait s'en tenir à cette affectueuse distance, et de toute façon j'avais trop peu de conversation pour me risquer sur les chemins. Je me pinçais parfois pour m'assurer que même en rêve on peut se faire mal. De jour, je comptais mes ecchymoses, elles me tenaient compagnie.
J'avais aussi une petite parentèle de mots que je couchais assidûment sur la réglure de mes cahiers d'écolier. De temps à autre, je m'amusais à les retourner, comme ces insectes bossus qu'on fait basculer d'une pichenette et qui brassent longtemps l'air de leurs pattes affolées, avant de se remettre en état de marche ou de s'épuiser, selon leur agilité. L'envers des mots m'intriguait, je m'étais persuadé qu'on pouvait y lire leur contraire, mais il n'en était rien : mis sur le dos, ils parlaient une langue absconse que je n'avais pas la patience d'apprivoiser. Comme je n’ étais guère plus instruit de leur endroit, je me gardais bien de m'afficher avec eux. J'en emplissais mes tiroirs, et j'attendais la crue.
D'ailleurs, je ne m'affichais pas, excepté sur les murs de ma maison. J'y avais épinglé une collection de photographies, sans art ni harmonie. Aucune ne me représentait, pourtant j'avais l'impression de m'y voir comme dans autant de miroirs déformants. Je ne les aimais jamais longtemps, mon regard les usait très vite et il fallait les changer fréquemment. J'étais peut-être aussi fatigué de moi-même, fatigué d'ignorer le reste du monde. Je me promettais sans cesse de percer une fenêtre, je me disais : "C'est pour bientôt," la date n'était jamais fixée, la fenêtre jamais percée.
Le temps se traînait, s'essoufflait, les tiroirs s'étouffaient, les murs s'éreintaient, la vie elle-même commençait à s'élimer, déjà la trame apparaissait par endroits, le flou des images n'était plus acceptable, on sentait que la peau se craquelait sous la pression, les blessures nocturnes empiétaient sur le jour et le jour s'insinuait dans les rêves, l'insupportable était atteint. Et ce fut la crue.
Lorsque je naquis, il me fallut d'abord apprendre à nager, puis à reconnaître les îles où mes amis attendaient le fin mot de l'histoire, leur propre crue peut-être. J'allai de l'un à l'autre, je leur lus l'envers des mots dont ils se firent fort de m'enseigner l'endroit. Alors seulement je compris que le monde était une fenêtre et que nous avions à bâtir, autour, une maison.
in Casse n° 4
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