mardi, 27 juin 2006
Les couvertures de Casse
Toutes les couvertures de la revue Casse figurent désormais dans l'album photo (colonne de gauche, en bas).
Un autre album reproduit un choix de quatrièmes de couv', parmi les plus humoristiques.
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lundi, 26 juin 2006
Aucun fondement logique, de Gilles Bailly (in Casse n° 19)
Il était une fois deux châteaux qui se faisaient la guerre.
Malheureusement, ces derniers étaient situés trop près l'un de l'autre, de sorte qu'aucune des parties n'osait bombarder l'ennemi de peur de voir la forteresse adverse s'effondrer sur son propre édifice.
Les deux seigneurs décidèrent donc un jour de déplacer leur château respectif afin d'augmenter la distance entre eux.
Il fallut des efforts surhumains, des années de travaux pharaoniques pour démonter les citadelles pierre par pierre. Beaucoup d'ouvriers moururent. Cela fit bien plus de dégâts qu'une guerre.
Finalement, l'on arriva au bout de l'ouvrage : une vaste plaine séparait désormais les belligérants. Il était temps de reprendre les hostilités.
Mais lorsque la bataille s'engagea, on s'aperçut, ô surprise, que les boulets de canon n'atteignaient plus la forteresse d'en face : les adversaires se trouvaient bel et bien trop loin les uns des autres.
Opérer un nouveau rapprochement supposait de nouveaux travaux pharaoniques. On n'en eut pas le courage de part et d'autre.
Ainsi prit fin un conflit qui, du reste, n'avait aucun fondement logique.
in Casse n° 19
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dimanche, 25 juin 2006
Pavillon, d'Alain Tchungui (in Casse n° 13/14)
Ils habitaient un coquet pavillon, bien entretenu, ouvert de plain-pied sur une pelouse au gazon tondu ras et passé au rouleau. Ce jour-là, la jeune femme, allongée sur une chaise-longue près d'un massif de fleurs, lisait dans une revue la vie de Joséphine. Il faisait beau. Elle portait juste une petite robe d'été que le vent doux retroussait par moments. A côté d'elle, sur la table roulante, s'embuait la bouteille d'eau fraîche que son mari venait de lui porter. En tablier de jardinier, il taillait maintenant, avec le plus grand soin, ses parterres de rosiers. On entendait le sécateur cliqueter à intervalles réguliers. Coupant à travers la haie plutôt que d'en faire le tour, un hussard arriva d'on ne sait où. Il portait le bel uniforme chamarré des soldats de l'empereur, shako à plumet sur la tête, pampilles dorées sur la poitrine, et il marchait au pas de l'oie, bras et jambes tendus et haut levés à chaque foulée. On aurait cru un automate.
Sans dire un mot ni jeter un regard aux propriétaires des lieux, le soldat traversa la pelouse, pénétra dans la maison. Il alla droit à la cuisine. Ses talons claquaient sur le sol. L'homme et la femme le suivaient, stupéfaits.
Ils virent qu'il tenait à la main une bouteille dont la base était percée sur le côté. Le soldat mit le pouce sur le trou puis remplit la bouteille au robinet.
Ensuite, tout d'une pièce, il fit demi-tour, sortit de la cuisine et gagna le salon, la plus belle pièce de la maison, toujours bien rangée et dont on se servait seulement les jours de réception. Là, il se dirigea droit vers un chiffonnier en orme blond sur lequel il posa la bouteille. Il la lâcha. L'eau se mit à couler sur la tablette cirée. Le mari se précipita : le bois supporte si mal l'eau... Il saisit la bouteille. Mais, comme en s'agitant, tout ce qu'il parvint à faire fut d'asperger les autres meubles, le papier à ramage, les rideaux de velours, il se résolut à mettre aussi le pouce sur le trou pour arrêter la fuite. Il entreprit alors, la bouteille dans une main, son tablier dans l'autre, de nettoyer les flaques.
Pendant ce temps, le soldat prit l'épouse par le bras, la conduisit dans la chambre. Il la déshabilla, lui retirant d'un coup la petite robe d'été par dessus la tête, ôta son uniforme et son képi. Après avoir allongé la femme nue sur le lit, il la força sans égards.
Le mari accourut, voulut intervenir, mais, embarrassé qu'il était par la bouteille d'eau - les tapis d'Orient pâtissent d'être mouillés - , il ne put rien tenter.
Le soldat se rhabilla, quitta la chambre et regagna l'entrée. Avant de sortir, il se tourna vers le mari, lui prit la bouteille des mains, la vida sur le parquet en chêne.
Puis il se tourna vers la femme. Elle sortait de la chambre, sa robe serrée contre la poitrine. Il claqua les talons et s'inclina vivement.
Ensuite, il sortit, s'éloigna droit devant lui, à la façon d'un automate, bras et jambes tendus et haut levés à chaque foulée, et il choisit, cette fois encore, de couper à travers la haie plutôt que d'en faire le tour. On entendit longtemps ses talons claquer régulièrement contre le sol.
Ce jour-là, il faisait beau. Le livre de Joséphine était tombé dans l'herbe et le vent doux le feuilletait.
in Casse n° 13/14
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mardi, 20 juin 2006
Jacques Simonomis (in Casse n° 4)
Les buffets, de Jacques Simonomis
Les buffets
Nos buffets littéraires étaient toujours pleins : vétérans d'antichambres, placeurs de romans tsé-tsé, quêteurs d'araignée du soir, etc.
Soumis aux toasts à l'anaconda et aux gâteries au pili-pili, arrosés de tafia "Légionnaire", "5 sur 5" ou "Marche ou crève", j'observais les amis sincères.
On apportait les fourmis rouges, les mygales, les papillons. Les indiens Alphabêtas (inventeurs de l'Eldorado) chantaient nos louanges pendant que les aras chipaient les cacahuètes. Il y avait des scènes atroces.
A l'aube, nous entassions les survivants dans un grand pousse-pousse rose qui ne prend pas cher.
Le tatoué
Bébert était tatoué de la tête aux pieds. (Les ports sont durs pour les matafs bourrés). Un dragon logeait sur son torse. Un serpent lui ceignait les reins. Des filles offraient leurs croupes aux lazzis des collègues de douche. Sur ses fesses, deux diables tiraient la langue, prouvant par A+B les visions de madame Mac'Miche.
On ramassa son écorché dans une crique. Les filles s'éclaboussaient sous l'oeil du serpent tendre. Le dragon les couvait de ses membranes bleues et les diables pétaient pour éloigner les squales.
Les cabinets
Maintenant que la tempête avait arraché la porte des cabinets, il fallait profiter d'une accalmie sur l'avenue pour "aller", un journal déplié tenant lieu de pudeur.
On n'entend pas les gens en espadrilles... Un couple de retraités commentait les nouvelles... Je toussotai, remuai, tournai les pages... Ils se plièrent, penchèrent le chef, tordirent le col, attendant mieux. Je leur opposai les petites annonces, les avis nécrologiques, les assassinats du quartier. Rien n'y fit !
Comment mener son affaire dans ces conditions, surtout en province ? Brusquement, je retournai les deux pans du journal ! qui les bouscula, les cogna, les coinça, les lécha, les mordilla, les trouva miam, les dévora, rota, les digéra le ventre plat, avec une grande simplicité pour une ville moyenne.
in Casse n° 4
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mardi, 13 juin 2006
Gaspard Hons (in Casse n° 1)
L'ange pèse la pure beauté des choses, de Gaspard Hons
le voyageur abandonne ses bagages, le voyageur reprend la route, le voyageur se confond avec d'autres voyageurs, il prend place à bord d'une bulle de savon, il caresse le genou de l'amante, il lèche les yeux de l'amante, il suce l'orteil de l'amante, le voyageur parcourt les archives du bonheur, du désarroi, de la tristesse. Le voyageur prend appui sur l'horizon, sur la transparence de l'aube, sur l'éclipse du monde, le voyageur traverse la mémoire, le désir et le fond des choses. Le voyageur connaît de la beauté des choses, de la finalité des livres, le voyageur n'a jamais quitté ses bagages, n'a jamais quitté son corps, n'a jamais quitté ses doutes, le voyageur n'a jamais quitté ses illusions
la pure beauté des choses échappe à la logique des hommes, elle est folle la pure beauté des choses, elle n'est d'aucune utilité pratique, la pure beauté des choses se consomme comme la Campbells Tomato Soup. La pure beauté des choses s'endort au bord des piscines, traverse le mot utopie, trace des graffiti sur les murs des villes, envoie des cartes postales aux actrices de cinéma, la pure beauté des choses se confond avec la couleur verte du printemps, avec un envol d'oies, avec une étoile jaune, avec l'âge du monde, avec un tube de dentifrice. La pure beauté des choses, la compassion, le chant du merle, le remuement d'une feuille, la solitude,...menacent la sécurité des philosophes
entrons dans la maison, entrons dans la maison de la beauté, dans la maison des choses ; la maison parle, elle parle de la maison, de la beauté, elle parle des choses, elle parle de la parole, de la biographie de la parole, elle parle de la parole déchirée, de la parole meurtrie, de la parole oubliée. La maison vit à l'intérieur de la maison, elle ferme portes et fenêtres, elle caresse le chat, la maison ne pense à rien, elle cesse d'exister, elle perd la mémoire, elle respire mal, elle souffre, elle éteint la lampe, la maison suit sur l' écran la charge de la dernière brigade, le mot fin ne changera rien à l'ordonnancement du monde
in Casse n° 1
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