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mercredi, 30 août 2006

Pensées récréatives, de Jean-Luc Lourmière (in Casse n° 3)

 

Monsieur Nuel,

Jugerez-vous avec bienveillance les écrits d'un jeune homme irrévérencieux ? Voici bien des années que je couche sur le papier des phrases qui ne tiennent pas debout. A vrai dire, je fais des mots, parce que je suis bien incapable de faire des phrases.
En découvrant dans mon envoi ce que je considère comme la quintessence de mon esprit, peut-être penserez-vous qu'il serait malaisé de faire pis, mais ce serait se méprendre sur mon aptitude à déraisonner.
Au reste, j'ai déjà prostitué ma plume pour le Poireau Gabardine, la revue de Philosophie Disjonctale. Dès lors, gager que ma plume se commettra derechef n'est pas une inconséquence.
Puisse la fortune vous préserver des fâcheux de mon espèce.
A l'instar des gentilshommes d'antan, je vous tire ma révérence, quand bien même la facture de mon épître n'aurait pas eu l'heur de vous plaire.
Serviteur.
Jean-Luc Lourmière


PENSEES RECREATIVES

J'aime à deviser avec cette femme, car enfin, si sa conversation est plate, sa gorge ne l'est pas.

Certes, vous avez une dent contre ce pugiliste, la seule qu'il vous a laissée, au demeurant.

C'est quand nous ne marchons pas droit que l'on nous regarde de travers.

Qu'espérez-vous des femmes volages ? Ne savez-vous pas qu'elles vous laissent tomber comme elles laissent tomber leur culotte ?

La femme a eu l'intelligence de nous faire croire à sa bêtise pendant tant de siècles, que je ne puis imaginer pourquoi elle a aujourd'hui la bêtise de nous montrer son intelligence à chaque occasion.

Allez donc ! Lisez des romans-fleuves : suivez le courant.

Il n'y a peut-être pas de sots métiers, mais il y a des métiers qui rendent sots, et que seuls des sots devraient faire.

Tu t'allonges sur le divan d'une psychanalyste et tu te retrouves dans son lit, histoire d'exorciser le complexe d'Oedipe.

Ne croyez pas que les militaires changent d'avis : ils reçoivent des ordres différents, c'est tout.

Il n'est pas besoin de répondre au patronyme de Freud pour comprendre que le cul de votre bourgeoise est un achoppement non négligeable pour votre élévation spirituelle.

Ma mère a fait bien des erreurs, et je ne suis pas la moindre.

Me chanteriez-vous pouilles, vous aussi ? D'aucuns, il est vrai, me reprochent de ne pas faire grand-chose, alors qu'en réalité, je m'applique à ne rien faire.

 

in Casse n° 3

 

dimanche, 27 août 2006

Les pleureuses d'encre, de Roland Counard (in Casse n° 13-14)

 

Quand une hirondelle se sera piquée à notre hameçon, quand notre ligne, plutôt que de pointer les ronds de l'eau, s'en ira chasser le vent : nous devrons, de toute urgence, reprendre nos vieux cahiers, recopier, sagement, nos premières dictées.

Hors l'écriture, est-il un lieu plus sensuel que la certitude de son absurde incohérence ?

Ainsi je comprends l'écriture : les os s'y montrent si fragiles que le simple fait d'y poser les mains semble un geste absurde, qui les cassera.

Cette façon de contraindre la chair au chaud, au chaud puis au froid : la phrase est, dès lors, une vaste gerçure dont le sens échappe, telles les branches mortes de l'hiver.

Le temps compose les lèvres. Il les voudrait minces... elles ne sont qu'étranges, une forme rare d'encre bleue.

Il traînera toujours, sur une page blanche ou noire, ou simplement signée d'une tache d'encre, un doigt qui tente, vainement, de l'effacer.

Imperturbables, nos lèvres épousent le gel, la morte saison de la langue.

L'encre est capricieuse, plus légère que la feuille. Elle pose que, sur une joue, le rose est plus discret que le rouge...

Il faut creuser la terre : la bêche ira, de la terre aux épaules, jusqu'au ciel, comme une gourde, épancher notre soif.

Posez la bouche contre une allumette : la langue grésille et s'enflamme.

Ne jamais toucher l'encre avec les doigts : courons le risque de n'y laisser nulle empreinte.

Protéger la nudité de la plume ! Son alléchante nudité, sa souple allégeance à la nudité !

Si le miroir était, dans l'aventure du verbe, une possible évasion ?

Coller, contre les lèvres, un peu de ciment : la teinture glacée de l'encre...

Nous aimons la forme tendre et volontaire de la plume, sa lente moulure dans l'opacité du papier.

Mener l'encre vers le ciel : une simple question de capillarité.

 

in Casse n° 13-14

 

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jeudi, 24 août 2006

Poèmes d'André Rochedy (in Casse n° 1 et n° 17)

André Rochedy, auteur d’une importante œuvre poétique, est mort le 9 août 2006. Né à Saint-Agrève (Ardèche) en 1942, il demeurait à Lyon où il fut professeur de lettres. Grand connaisseur de la poésie, il m’apporta son aide et ses conseils tout au long de l’existence de la revue Casse, et il figurait au nombre de ceux que je nommais dans l’ours « les amis de l’ombre ». C’est grâce à lui que je pus obtenir pour Casse les textes des meilleurs poètes belges, dont Gaspard Hons, Carino Bucciarelli, André Romus et bien d’autres ; il fit aussi partie des jurys que je formai pour les prix de poésie et de nouvelles organisés par la revue.
Son œuvre est parue chez Cheyne éditeur et à L’Arbre à paroles.
JJN


*

Les griffes des belettes
creusent le sommeil
Des lunes d’hiver
croissent dans nos ciels
Nous ne guérirons pas du froid

Le voyageur dit qu’il va
au plus blanc de la neige

*

Mais quelle bouche a bu
tout le sang de l’étoile
les pommes ensemble
ont vieilli au matin
L’alouette est entrée dans la pierre
nous laisserons nos yeux
aux arbres du jardin
Nous sommes couchés
dans la rosée de soufre
Sur nos mains nos visages
la langue rêche des brebis

*

Un enfant garde
la maison des songes
surgissement de l’orge
dans l’obscur
La mort jappe au fond de l’ombre
quand la lumière élève
les visages
et les oiseaux
tombés en nuit

in Casse n° 1

*

D’un coup d’épaule le vent renverse le jardin et bras levés les ombres s’envolent.
Cris enfoncés dans l’herbe comme étoiles noyées.

Que la blancheur nous soit passage à l’heure où les ténèbres mangent les yeux. Si froids les corps quand ils s’éloignent. Qui nous dira les mots qui montent jusqu’au visage de l’amandier ?

La nuit gagne sur l’enclos de la lampe, une herbe noire recouvre l’étang. On ne sait pas le bruit que font les paroles sous la neige. On peut mourir d’oublier le souffle de la mer.

in Casse n° 17