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vendredi, 01 septembre 2006

Dégâts des Lettres, chroniques de Jean-Louis Massot

Jean-Louis Massot a tenu une chronique régulière intitulée Dégâts des Lettres du numéro 6 au numéro 21 de la revue Casse. Acide et caustique, elle fit grincer des dents et valut à la rédaction de nombreux courriers, parfois d’approbation, le plus souvent de protestation.
Ce billet reproduit l’intégralité des 13 chroniques. Précisons que J.L. Massot a publié ensuite un recueil « Dégâts des Lettres » aux éditions Gros Textes.



Dégâts des Lettres n° 1 (in Casse n° 6)

Entre un panier de crabes et certain milieu de la poésie, il ne doit pas exister plus de différence qu'entre, au hasard, l'hypocrisie et la politique.
Un crabe est composé, en gros, d'une carapace, de deux pinces, d'un estomac comestible et de quelques grammes de cervelle. Important : il avance de biais. La poésie se compose d'auteurs connus et inconnus, de quelques lecteurs, de critiques et d'éditeurs.
Un crabe plongé dans l'eau bouillante devient rouge. au bout de quelques secondes de cuisson ; un poète plongé dans le milieu revuiste devient rouge de dépit, s'il n'est pas reconnu. S'il est reconnu et timide, il devient également rouge.
Après sa mort, le crabe ne pince plus. On le décortique, puis on le déguste, avec du citron ou de la mayonnaise.
Après sa première publication, le poète ne discute plus, il se décortique, puis il se déguste en se relisant ou déguste la plume du critique.
S’il existe une différence, je n'en vois qu'une seule : les crabes ne sont pas solidaires entre eux. Dans la fuite pour le salut, puis dans le panier, c'est chacun pour soi. Au contraire des poètes qui fondent des familles, des clans et se retrouvent dans les mêmes revues où ils s'encensent et s'auto-congratulent, ce qui est souvent un spectacle plus désopilant que d'assister à la fuite d'un crabe.
Il paraît qu'il existe des crabes non comestibles, des crabes agiles, des poètes pudiques, des poètes sincères. Qu'ils restent sur leurs gardes, et surtout se méfient de la température de l'eau dans la casserole.

 

In Casse n° 6

 


Dégâts des Lettres n° 2 (in Casse n° 7-8)

Pour ceux qui ne lisent jamais de poésie ou pour ceux qui cherchent un sujet passionnant pour un magazine d'actualités, voici quelques renseignements très rares sur le poète.
Un poète est celui qui réussit à mettre les mots en images, qui sait compter ses syllabes, qui ne parle que de lui sans jamais écrire JE, qui ne change ses chaussettes trouées qu'aux pleines lunes, qui peut griffonner un mot obsolète suivi d'une avalanche d'adjectifs qu'il a recopiés dans son Thésaurus, qui se doit d'avoir un chat pensif autant qu'érudit ainsi qu'une plante verte cultivée dans son 2 pièces sous les toits, qui n'avoue qu'il est poète que du bout des lèvres et tape ses vers de l'index droit sur une vieille machine à écrire, qui est hanté jour et nuit, au point d'oublier de se brosser les dents et de se masturber, par une question insoutenable : Mais comment être reconnu donc édité ?
Seule solution pour ce doux rêveur :
D’abord proposer quelques poèmes à des revues en n’oubliant pas de flatter le comité de lecture pour ses qualités artistiques et son génie de la critique. Bien retenir les noms de ceux qui dirigent une maison d’édition et s’auto-éditent. Encenser régulièrement les plaquettes de ces éditeurs. Leur dédier régulièrement un poème. Etre sincèrement bouleversé par leur dernier chef-d’œuvre. Ne pas trop en faire. Patienter encore un peu et enfin leur proposer votre recueil. Ne pas oublier de changer de chaussettes avant d’aller leur baiser les pieds. S’introduire dans le comité de lecture donne la plupart du temps une chance supplémentaire.
Parfois, il arrive que le résultat soit négatif. Surtout ne pas se décourager. Prendre plutôt un annuaire. Téléphoner à un imprimeur. Demander un devis pour imprimer 1000 exemplaires de votre chef-d'œuvre, à vos frais. Vous justifier auprès de vos amis, de votre famille et de Bernard Pivot en invoquant Rimbaud et Proust comme illustres prédécesseurs, avant de soudain réaliser que l'un avait du talent et l'autre de l'argent. Redevenir lucide ou essayer la peinture.

 

In Casse n° 7-8



Dégâts des Lettres n° 3 (in Casse n° 9)

Pour tous ceux qui plaquent en toute quiétude des mots sur le recto d'une feuille blanche, un jour est venu se poser la cruelle évidence de la page vierge mais, comme s'il y avait un risque à cela, jamais du non emploi du verso de cette maudite page.
Tandis qu'à l'extérieur, guerres, famines, génocides et fanatismes s'agitent comme à l'habitude, que cette maudite main qui tient la plume, ces doigts qui pianotent sur la vieille machine ou le clavier, restent ostensiblement figés alors que le cerveau joue les abonnés absents et reste aussi vide que les caisses de Casse, combien de versos, de cette cruelle page qui vous nargue, sont-ils ainsi inemployés ?
Bien plus que les affres de la création, les pannes d'inspiration, les tentatives avortées de stylos rageurs, qui pense à ces versos trop souvent ignorés ? Qui pourra dire, dans ces moments de profonde détresse, loin des sempiternels problèmes qui secouent la planète, combien de ces pannes d'inspiration, de ces hésitations stylistiques, de ces balbutiements poétiques, ont dû subir ces malheureux versos ? Combien de feuilles, de rames, froissées, jetées, brûlées, pour un seul poème utile, pour une seule nouvelle nécessaire? Combien de versos jamais utilisés, pour quelques lignes péniblement pondues et aussitôt vouées à l'anonymat ?
Quelle menace se cache au dos de ce papier que personne ne prend jamais la peine d'utiliser et qui termine sa vie en fumée, en boulettes ou, dans le meilleur des cas, en cocotte en papier ?
Mais qui de nos jours ose encore affronter le danger du verso d'une page blanche pour la plier en cocotte en papier ?

 

In Casse n° 9


Dégâts des Lettres n° 4 (in Casse n° 10)


Imaginons qu'un pays, célèbre pour ses fromages, ses vins et son chauvinisme, ne se retrouve habité que par quelques individus qui, bien qu'ils soient gastronomes et buveurs, ne parviendraient plus à ingurgiter les productions culinaires et alcooliques de leur pays adoptif.
Malgré leur bonne volonté, leur patriotisme, nos pantagruels seraient très vite terrassés par une indigestion qui entraînerait la disparition de tout ce pan de traditions culinaires et alcooliques, fierté de ses habitants.
Ce même phénomène de surconsommation et de pénurie risque de se produire avec les revues littéraires et surtout poétiques, où le nombre d'auteurs dépasse bien souvent le nombre de lecteurs.
Paradoxalement, plus existent de revues, moins de gens lisent. Hormis quelques curieux, quelques passionnés, quelques néophytes de la plume et du nombril qui croient avoir trouvé le filon de la gloire, qui d'autre que les auteurs/abonnés, les animateurs, les chasseurs de concours, lit encore des revues, lit encore de la poésie.
Malgré les appels au secours, les initiatives, l'enthousiasme de rares allumés des mots et de l'imaginaire, le petit monde des revues végète autour de son cercle de fidèles et d'abonnés qui vont et viennent suivant qu'ils sont ou ne sont pas publiés, ce qui entraîne des susceptibilités avec lesquelles les directeurs de revues doivent compter car, dans la plupart des cas, un poète qui n'est plus publié est un abonné qui disparaît ce qui ne veut pas dire qu'il devienne gastronome, sinon la plupart des directeurs de revues se reconvertiraient en restaurateurs - ce qui relancerait la production alimentaire au détriment de la production littéraire.
Or, comme l'une devient de plus en plus allégée et l'autre de moins en moins épicée, chacun resterait sur sa faim, ce qui ne serait pas très différent de ce qu'il se passe aujourd'hui.

 

In Casse n° 10


Dégâts des Lettres n° 5 (in Casse n° 11)

M'efforçant de lire nombre de revues, j'en arrive à me demander s'il ne devient pas urgent d'ériger un mur des lamentations devant tant de doléances, de règlements de comptes, d'indignations envers le microcosme poétique.
Prenons une revue au hasard: c'est à qui se plaindra (à juste titre d'ailleurs) du comportement névrotique du poète ou de la poétesse qui, parce qu'i!/elle a reçu quelques félicitations pour un recueil dont personne n'a jamais entendu parler, se permet d'être indigné(e) lorsqu'un critique porte atteinte à son génie ; c'est à qui gémira contre l'indifférence de ces petits éditeurs qui ont le toupet de ne pas voir dans votre dernier ouvrage, le chef d'œuvre que la poésie attend depuis des siècles et qui préfèrent, ô infamie, utiliser leurs heures de loisir à ne pas tenir compte de ces lettres d'injures qu'ils reçoivent en plus des gribouillis qu'ils n'ont pas sollicités ; c'est à qui videra son fiel sur la revue concurrente qui vous pique les rares lecteurs que tout le monde s'arrache ; c'est à qui dira haut et fort ses regrets de voir l'indifférence dans laquelle végète la poésie malgré les cris d'alarme, les coups de gueule qui résonnent dans le désert.
O rage! O désespoir! O pôvres poètes !
Ils traquèrent jusqu'au dernier des lecteurs,
Mais à plus de cinq cents ils causèrent frayeur
En se lamentant de n'avoir plus d'adeptes.
Hé ! ami(e)s poètes, revuistes, éditeurs, n'avez-vous pas encore remarqué que vos lamentations, vos querelles, vos suffisances ont fait fuir ce lecteur qui préfère, et il n'a pas vraiment tort, consacrer sa curiosité à une littérature qui lui parle de passions, de rêves, de sang, de rires, de larmes, d'émotions et non pas de tribulations égocentriques, philosophiques et intellectuelles avec le petit doigt en l'air parce que merde quoi ! on est entre gens de lettres.
Pleurer sur la poésie, c'est comme manger de la confiture : point trop n'en faut car ça risque de couler entre les doigts de ceux qui en font toute une tartine.

 

In Casse n° 11


Dégâts des Lettres n° 6 (in Casse n° 13-14)

Polémiquez ! Polémiquez ! Comme dirait l'autre, il en restera toujours quelque chose et si ce n'est dans les mémoires, ce sera sans doute dans les archives poussiéreuses d'un musée vétuste qui abritera dans quelques siècles, on se demande encore par quel miracle, au fond d'un couloir d'un dernier étage désert et moisi, les restes de ces revues littéraires dont plus personne ne sait si elles étaient au service de la poésie, de la littérature ou permettaient à quelques agités de la vindicte de croiser le fer en cherchant la petite bête ou en coupant les cheveux en quatre.
Ah ! Ils devaient être drôles à rencontrer, ces forçats de la plume, ces agités de la controverse, se diront les "touristes" qui visiteront ces lieux. Sans doute à cette époque lointaine, qui comptait plus de poètes que de lecteurs de poésie, n'y avait-il pas assez de pseudo-débats politiques, d'émissions télévisuelles où personne n'écoutait l'autre, où tout le monde parlait en même temps, pour que les polémistes qui sévissaient dans les revues usent autant d'encre à s'interpeller d'un ghetto revuiste à l'autre. Mais vu qu'en ce temps-là, on s'invectivait pour un rien, pour un parking, une place gagnée dans une file de cinéma ou un embouteillage, quand ce n'était pas pour déverser son fiel sur un arbitre véreux ou un météorologiste incapable, ceux qui nous découvriront plus tard trouveront sans doute ces "échanges" bien dans l'air du temps. Pourquoi les poètes auraient-ils dû agir différemment ? Eux qui se prenaient parfois pour les derniers remparts humains de l'humilité, de la modestie et même de la tolérance, malgré tous leurs efforts pour "être d'un autre monde", n'étaient-ils pas semblables à leurs frères humains, montrant défauts et faiblesses comme n'importe quel autre animal. Sauf qu'un animal ne passait pas son temps à couper les cheveux en quatre ni à chercher la petite bête (hormis les carnivores) au contraire du poète qui usait sa plume dans une diatribe bien stérile car dans les raisins de leur colère, il y a longtemps qu'il n'y avait plus de pépins.

 

In Casse n° 13-14


Dégâts des Lettres n° 7 (in Casse n° 13-14)

Cà et là revient la même sourde et angoissante question : Comment sauver la poésie de l'indifférence qu'elle suscite ? Voilà le genre de question essentielle de nos jours qui en empêche plus d'un de trouver le sommeil tant cela les turlupine alors que d'autres, inconscients du grave danger qui les guette, continuent à vaquer à leurs tristes occupations quotidiennes.
Et là, comme en politique plus le mal s'aggrave plus nombreux existent les candidats pour l'éradiquer.
Du lecteur indigné à l'éditorialiste courroucé, du revuiste découragé au chroniqueur vitupérant, sans oublier le pôvre poète abandonné de tous, chacun y va de son petit laïus, de son analyse et de sa solution miracle. C'est à qui du haut de sa tribune annonce sans peur du ridicule que la poésie est la seule arme pour sauver l'espèce humaine de la dégénérescence. Renchérissant, un autre affirme que la poésie a servi, sert et servira encore de rempart - ce qui n'est pas tout à fait faux vu l'épaisseur de son hermétisme - face aux guerres, aux massacres et autres réjouissances qui pullulent sur notre bonne vieille planète. On apprend avec joie, même si on nous l'avait déjà dit, que les poètes sont des gens pacifistes bien que certains aient revêtu l'uniforme militaire, non pas pour encenser la guerre, même si l'un ou l'autre vol de nuit, l'une ou l'autre scène de tranchée leur parurent poétique, mais seulement pour sauver la veuve, l'orphelin et la patrie. De tous côtés viennent des plaintes contre l'indifférence des poètes entre eux, des lecteurs vis à vis des poètes et tant qu'on y est des poètes envers les fleurs des champs et les petits zoiseaux. Et pendant ce temps-là, la poésie, cette malheureuse, inconsciente continue son petit bonhomme de chemin sans se douter du danger qui la menace, dodelinant de la tête pour éviter les jets de pommes de discorde, de navets véreux, de salades internes, de fruits de la passion et de peaux de bananes qu'on lui jette entre les pieds.

 

In Casse n° 13-14


Dégâts des Lettres n° 8 (in Casse n° 15)

Chaque année, en juin, moult poètes, éditeurs, revuistes, critiques, chroniqueurs qui s'invectivent, se félicitent, s'entre-déchirent, s'encensent par revues interposées ou relations épistolaires se rencontrent à Paris, au Marché de la Poésie, place Saint-Sulpice, sans s'être jamais vus auparavant ce qui donne lieu à quelques scènes désopilantes. Sous les futaies, on y entend Trucmuche et sa revue Bla-bla être confondu avec Machin chose de la revue Tralala ; Gribouillis Nombril pensait avoir affaire avec l'éditeur Bidule qui n'a toujours pas donné de réponse à son manuscrit de 4000 alexandrins alors qu'il s'agissait du chroniqueur Sancoeur qui avait démoli son précédent chef d'œuvre. On croit alors que la marmite va exploser mais il n'en est rien. Faisant fi de tous ces quiproquos, chacun s'en sort en se répandant en excuses et autres minauderies, puis s'en repart en quête de cette grande famille poétique dont tout le monde parle mais que personne n'a encore jamais vu ce qui est logique : le milieu poétique étant une matière invisible à l'œil nu, peu olfactive, et se rétractant au moindre contact, il est difficile à ceux qui la composent de se rencontrer. Surtout à ce champêtre Marché de la Poésie où tout un chacun évite soigneusement de se marcher sur les pieds, de verser de l'huile sur le feu ou de rajouter du piment. Bercée par le doux gazouillis des hirondelles et autres volatiles, cette faune bigarrée, venue là soulever timidement les couvercles des vieilles ou des nouvelles marmites dans lesquelles se mijoteront demain les derniers mets littéraires de quelques ascètes du vocabulaire, repartira insouciante et gaie laissant aux mignons petits zoiseaux, qui ont pris les allées des stands pour des latrines à ciel ouvert, les maigres miettes d'un repas inachevé.

 

In Casse n° 15


Dégâts des Lettres n° 9 (in Casse n° 16)

Me font doucement rigoler les zoteurs et les zoteures, les poètes et poétesses qui montent sur leurs grands chevaux, frôlent l'apoplexie lorsqu'ils entendent parler d'édition à compte  d'auteur, mais restent assez discrets vis à vis de l'auto édition qui, hormis le fait que chacun est libre de se plumer lui-même, est quand même aussi peu crédible dans sa finalité. Demandez donc à un cordon bleu ce qu'il pense de la cuisine au micro onde. Il vous répondra que c'est peut-être une bonne manière de gagner du temps, mais sûrement pas d'apprendre à cuisiner et encore moins d'apprécier la nourriture.
- Horreur ! s'écrient-ils/elles, d'une seule et même voix en se réfugiant derrière leur chape d'intégrité qu'il est aussi facile de retourner qu'une crêpe bretonne. Plutôt que de s'abaisser à cette infamie du compte d'auteur pour voir leur dernier chef-d'oeuvre enfin édité, ils/elles préfèrent renoncer pour ne point salir l'estime qu'ils/elles se portent à eux-mêmes et qui est aussi tenace que leur susceptibilité.
N'ont pas tort de s'emporter, mais faut être logique jusqu'au bout dans la croisade du lave plus blanc. Si elle était respectée, cette intégrité les honorerait, or, il suffit de s'intéresser à tout ce qui se publie ou s'édite aujourd'hui, un peu partout dans le milieu poétique, pour s'apercevoir que, détournant ces fameux "principes", la plupart en arrivent, le plus souvent d'ailleurs en toute naïveté, à la pratique de l'auto édition.
Pour ce faire, rien de plus facile. Suffit de posséder un traitement de texte, une imprimante, de rameuter les copains zoteurs, les copines poétesses, de caresser quelques "signatures" dans le sens du poil de la bête avant qu'elles ne s'endorment sur leurs lauriers et de fabriquer une petite revue, tout en n'oubliant pas de se réserver régulièrement quelques pages puis, le tour joué, de glisser discrètement sa plaquette de poèmes, sortie comme par miracle de la pseudo maison d'édition inventée dans la foulée de l'enthousiasme suscité par l'abonnement des quatre premiers lecteurs qui ne sont en fait que les cousins germains du comité de lecture qui, à lui seul, oh ! surprise, remplit pratiquement tout le sommaire.
Malheureusement peu se rendent compte que, hormis les cousins germains, personne ne lira les numéros suivants ni ne voudra les échanger contre une botte de navets qu'il est très facile de trouver au rayon fruits et légumes de n'importe quel supermarché où l'on n'est jamais aussi mal servi que par soi-même.

 

In Casse n° 16


Dégâts des Lettres n° 10 (in Casse n° 17)

0 doux lecteur, dur lecteur, en ce début d'année nouvelle où un vieux fossile, aussi inutile à la société qu'un cube de glace pour inuit, continue du haut de son balcon à répandre ses homélies d'un autre temps, où les ballons de football puent la ferveur patriotique, où la politique n'a jamais aussi bien joué son rôle de miroir aux alouettes, où la conduite automobile est devenue un langage agressif, combien j'eusse aimé ne point te citer ces lieux où des cénacles de charcutiers fossilisés anesthésient, dissèquent, réimplantent, pour leurs satisfactions personnelles, leurs masturbations stériles toutes les pôvres poésies qui leur tombent sous l'étal, combien j'eusse aimé ne pas te parler de ces milieux poétiques qui se gargarisent, s'attribuent, se récompensent, se critiquent, aboient parfois, mais pas trop méchamment, mangent régulièrement dans la même casserole, mais restent sobres à quelques exceptions près, combien j'eusse aimé ne pas casser du sucre sur le dos de ces poètes qui se prennent pour des poètes et viennent polluer de leurs circonvolutions hermétiques, de leurs vocabulaires poussiéreux, de leurs syntaxes obsolètes tes yeux et tes oreilles, 0 unique lecteur, si j'avais été idéaliste, j'eusse plutôt aimé te parler de poésies qui donnent envie de sourire, de poésies qui aident à ne pas trop désespérer d'être vivant sur cette drôle de planète bleue, de poésies qui nourrissent désaltèrent, réchauffent, caressent, puis te glisser à l'oreille qu'il est encore possible de rencontrer des poètes qui ne se prennent vraiment pas pour des poètes et savent que ce n'est pas demain la veille que disparaîtront les guerres, les famines, les bavures, l'hypocrisie, la pollution, le profit, le fascisme, les inégalités, les produits surgelés, la torture des grenouilles, des huîtres et des homards, la viande aux hormones, les œufs sans jaune, le whisky japonais, le vin désalcoolisé, les musiques de Clayderman, les dessins animés de Walt Disney, les frites qu'on va cuire sans huile, mais écrivent encore et encore sans en faire tout un plat, ni te raconter des salades.

 

In Casse n° 17


Dégâts des Lettres n° 11 (in Casse n° 18)

Avez-vous songé au drame intérieur du poète qui s'aventure sur un chemin tortueux à la recherche d'un éditeur. Après maintes nuits blanches que notre aède a passé à la rédaction de ses alexandrins ou de ses sonnets car il a de l'éducation, celui-ci, convaincu qu'il tient là le chef-d'œuvre que toute la littérature attendait depuis Homère, s'en va à la conquête d'une gloire dont il ne doute pas. Ni une, ni. deux, ni trois d'ailleurs, notre vaillant écrivaillon sélectionne au hasard, car il croit au hasard, une liste d'éditeurs qu'il a été piocher dans le bottin téléphonique ou dans les archives de sa bibliothèque municipale et, s'armant de cette conviction qui ne le quitte qu'en de rares occasions qu'il serait indécent de développer ici, il envoie son manuscrit sur le champ car être publié le démange tellement que la tête lui tourne déjà à l'idée de lire son nom sur une couverture. Après quelques jours, où son parcours s'est limité à aller de son bureau à sa boite aux lettres, n'y tenant plus, il écrit sa première missive en s'excusant auprès de Monsieur le Directeur Littéraire d'être si impatient mais en demandant un peu de compréhension envers cette attitude qui n'est que le résultat d'une inquiétude difficilement maîtrisable mais néanmoins justifiée. Face à la boîte aux lettres aussi vide que la tête d'un membre du front national, d'un militant anti-I.V.G. ou d'un fanatique religieux ou sportif, il sent monter en lui une injustice qu'il s'emploie à combattre en rédigeant sa deuxième missive où il demande pourquoi il n'a toujours pas reçu de réponse et s'il doit pour cela adresser une réclamation en quatre exemplaires ce qu'il ne manquera pas de faire endéans les trois jours car il n'est pas quelqu'un qui se décourage devant l'indifférence surtout si celle-ci est dirigée contre lui. Passe les jours et les semaines et notre pauvre poète, n'ayant toujours pas reçu de réponse malgré une quatrième, une cinquième, une sixième lettre dans lesquelles il réclamait, exigeait, suppliait une réponse, commence à pousser des soupirs aussi longs que les sanglots de l'hiver, avant de s'arracher les cheveux de la tête, de faire des pieds et des mains puis de baisser les bras et de rebrousser chemin sans que jamais ne lui soit venu à l'esprit que son manuscrit n'était peut-être pas publiable ou bien qu'il n'avait pas frappé à la bonne porte, porte qu'il refermera derrière lui en ajoutant aux précédentes cette dernière conviction qu'il est un génie méconnu dans un monde pourri qu'il déteste comme il déteste les chicons car il leur a toujours trouvé un goût amer.

 

In Casse n° 18


Dégâts des Lettres n° 12 (in Casse n° 19-20)

Dans la faune des poètes qu'il est assez drôle et instructif d'observer tant elle recèle d'espèces différentes, arrêtons-nous un instant sur une espèce assez prolifique que les explorateurs nomment crûment poète susceptible car les explorateurs ne s'embarrassent pas de préjugés ce en quoi ils ont bien raison. Le poète susceptible, appelons-le posus pour faire plus savant ou plus hermétique, bien que n'étant pas une espèce rare, loin s'en faut et je l'ai déjà dit, reste néanmoins assez difficile à observer et par là même à rencontrer. On ne peut être plus logique dans la présentation de cet exposé. Mais alors, comment y parvenir, vous interrogez-vous. Est-ce une question de chance, combien ça coûte et à qui faut-il cirer les pompes. Gardez-vous de ces manœuvres vous répondra notre explorateur qui s'en vient voler à votre secours et n'attend qu'un geste de votre part pour vous narrer par le menu cette chance qu'il a eue, lui, d'en rencontrer un si vous arrêtez de le chahuter et de lancer des remarques désobligeantes sur son casque colonial, son filet à papillons et ses chaussettes en laine qui lui remontent sous les genoux qu'il a par ailleurs fort cagneux, mais ne lui dites pas car il se pourrait qu'il soit lui aussi susceptible. Or donc, vous narrant son expérience, il vous révèlera qu'après moult précautions, conjuguées à une tenace patience acquise après de longues années d'expérience à traquer le posus dans la jungle poétique qui cache bien d'autres dangers, cet animal, derrière une apparente timidité qui bien vite se révèlera être une fausse modestie, éprouve le besoin d'être flatté, supporte très bien les tapes amicales sur l'épaule, accepte de bon gré les poignées de mains et les sourires hypocrites, mais s'irrite jusqu'à en devenir parfois hargneux et même plus de la moindre remarque négative à son propos. Inutile d'aborder avec lui un sujet tel que l'autodérision avec laquelle il n'a qu'une lointaine parenté pour ne pas dire aucune. Par contre, il est assez facile de l'entendre dire du mal de ses congénères qu'il croise peu souvent et de très loin car il est très prudent. Et si vous parvenez à pénétrer dans sa demeure qui bénéficie de tout le confort moderne, vous découvrirez qu'il cultive méticuleusement son jardin intérieur comme d'autres nettoient la poussière sur les meubles de leur salon en utilisant des bombes qui sentent l'encaustique et font briller ce qui n'a aucun éclat, qu'il ne se prend ni pour un navet ni pour une courge, légumes qu'il a toujours abhorrés mais vous vous en doutiez déjà.

in Casse n° 19-20

 

Dégâts des Lettres n° 13 (in Casse n° 21)

Ayant consciemment débuté cette chronique par la célèbre marche des crabes rougissant, quoi de plus logique que de la clore par un bouquet de crevettes roses, éparpillées dans le même panier, en forme de remerciements :
Je remercie donc, ici même et dans le désordre le plus total, le lecteur qui a souri à la tentative d'ironie qui s'est glissée dans les lignes des Dégâts ; le lecteur qui a grincé des dents, mais que je n'ai jamais rencontré ; le courageux qui m'a insulté en omettant de coller un timbre sur l'enveloppe-réponse ; le téméraire qui m'a traité de con sans laisser d'adresse ; le susceptible qui n'a pas pris ces chroniques à la légère ; le poète qui n'est toujours pas descendu de sa planète ; le pôvre poète qui dépense beaucoup d'argent pour reculer sur les chemins de sa gloire ; le poète œnologue, le poète pêcheur, le poète aphone, l'incompris séculaire, le poète gastronome, le poète à l'écho, le poète marin, terrien, aérien ; je remercie aussi et surtout tous les poètes qui, les bienheureux, sont poètes sans le savoir, ceux qui n'ont eu cure de ces dégâts, ceux qui les ont bien digérés, et bien sûr, car il n'y a pas de lettres sans un peu de démagogie, le rédacteur en chef de ces 21 dégâts à qui je souhaite pour l'avenir un Casse-rôle à sa démesure.

 

In Casse n° 21

 

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