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mardi, 17 octobre 2006

Nuit, de Marie-Jo Molinier (in Casse n° 6)

 

Nuit
Je vous dis nuit, par la lumière multipliée, le souffle léger de l'étoile, l'ombre délivrée.
Nuit, je vous dis nuit, je vous dis bleu, le temps n'est plus qu'une immense clarté qui roule dans nos veines, épousant en silence les printemps à venir.
Nuit, je vous dis nuit, une joie nouvelle tremble entre nos mains ouvertes, la lune s'est couchée sur l'herbe du jardin ; je sais le chant des eaux profondes, la sève toujours à naître, la robe blanche du matin. Je sais le long regard des prairies endormies dans la mémoire du soleil.
Je vous dis nuit, parole d'azur en attente de l'aube.

Janvier
Une clarté suffit à la nuit, si petite qu'elle tiendrait au bout du doigt d'un enfant. Le temps prend alors la couleur mauve des souvenirs anciens ; tout ce qu'on avait oublié soudain se bouscule, ressurgit.
Silence rompu de la mémoire ; un peu de vent effeuille ce qu'il reste de rire et fait reculer l'horizon sur la colline. On a soudain envie d'entendre une voix, on ouvre une fenêtre... Le soir sent l'ombre et l'argile, plus loin une forêt soupire, craque au souffle de l'hiver.
On attend les mains croisées près de la tasse en porcelaine blanche ; on se sent fragile, fatigué. On ne sait plus très bien, ceux que l'on aime ne sont plus là, on imagine leur visage, des mots tombent sur la page blanche, on leur écrit, cela nous rajeunit, nous rend très proche de l'étoile. Parfois, le téléphone sonne ; on ne sait pas l'heure qu'il est, on retrouve simplement son reflet bleu près de la lampe qu'on n'a pas encore allumée. On ne pense pas ; il est parfois difficile de penser, tout est si léger, si insaisissable, un peu comme un papillon sur un brin de lavande, une feuille d'automne posée sur l'herbe du verger, une étincelle venue des cendres tièdes du soleil. On sourit avec une certaine indulgence, sachant que malgré tout, la vie est là bondissant dans les veines du monde et les rivières qui bien après nous couleront jusqu'aux océans, rejoignant la paupière du ciel, la merveille innommée.
On préfère alors demeurer ici, avoir faim, avoir soif seulement d'un verre d'eau très claire.

Soir de juin
Le chant de l'oiseau allumait dans la nuit le feu obscur de la mémoire. J'ai levé la tête, espérant je ne sais quelle clarté, quelle présence, un murmure pressenti, une chose vivante et en même temps provisoire, tout à fait incertaine.
Les cendres du jour avaient aboli l'espace, l'ombre n'existait plus, on la respirait seulement ; l'heure s'était arrêtée dans le cœur humide des roses blanches. L'oiseau chantait toujours, c'était sublime et profondément triste ; j'ai pensé qu'il n'était peut-être pas si difficile de mourir, qu'il suffisait de tendre la main, d'épeler à voix basse le mot amour, de dire je reviens, ouvre moi la porte. D'ailleurs, elle m'attend. C'est pour moi en ce bas monde, la seule certitude, la plus subtile des tendresses : souveraineté de l'absence qui me renvoie seulement l'écho d'un prénom.
Le jardin n'était plus que fabuleuse odeur de terre, invisibles sillons où les étoiles, ensevelies, pleuraient doucement.
L'oiseau chantait encore et minuit était passé depuis longtemps.

Septembre
Une douceur de pomme roule dans le verger, les collines, légères, s'avancent vers le soir.
Les ombres se succèdent, attentives au souffle de septembre.
Je ne sais plus très bien ce qu'il faut dire du silence quand il tremble ainsi dans les cils blonds de la lumière.
Ici, il n'y a rien pour se rassurer ; d'ailleurs, on n'en éprouve pas le besoin. Tout vient de la terre, plonge ses racines dans l'invisible du ciel. Voix et murmures se confondent sans qu'une parole soit prononcée. Les mots sont presque inutiles ; ils s'inscrivent dans nos déserts d'herbe et de pierre et c'est bien ainsi. L'été s'apaise et les nuits se retirent plus loin dans le sommeil des arbres, dans la sève du jour.
Je vous écris à cause de la houle claire du vent et parce que nous avons le même regard d'argile et d'espérance ; peut-être n'y a-t-il que cela de réel, de vivant, une fraîcheur nouvelle d'éternité. C'est dimanche. Il fait un temps bleu de mésange et je vous embrasse affectueusement.



In Casse n° 6

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Commentaires

Superbe. A-t-elle publié des recueils ?

Écrit par : Christian Cottet-Emard | mercredi, 18 octobre 2006

Au moment de sa publication dans Casse, il y a 12 ans, elle déclarait avoir publié 2 recueils chez Identités (Amay, Belgique). Actuellement, elle cherche un éditeur...

Écrit par : Nuel | mercredi, 18 octobre 2006

Les commentaires sont fermés.