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mercredi, 06 septembre 2006

La clé, de Jean Bensimon (in Casse n° 15)

La clé

Je suis enfermé depuis maintes années dans une petite pièce sobrement meublée ; au plafond un vélux inaccessible laisse passer une clarté pâle. Je sus rapidement que la chambre donne sur l'extérieur : je perçois quelques bruits du dehors d'une manière assourdie, le sifflement du vent lors d'une tempête, des cris ou une voix incompréhensible ou encore une vague rumeur. Un jour, il y a longtemps, quelqu'un frappa à la porte, étonné, le coeur battant je répondis et les choses en restèrent là. Crier ne servirait à rien, les murs sont épais et de toute façon ma voix ne porte pas.
La porte est d'une taille disproportionnée à la chambre. Massive, de type ancien elle possède une huisserie de bois brun, un battant rouge foncé que renforcent des barres transversales de blindage, elle est enfin munie d'une serrure de sûreté à pêne dormant. Autant dire une porte indestructible.
Mais je dispose de nombreuses clés, trois sacs emplis à ras bord. Des clés de toutes sortes. D'anciennes à anneaux qu'on dirait sorties d'un escalier secret, des modernes, plates à l'air distingué, des clés Fichet à tige creuse, des clés bénardes ouvrant des deux côtés, d'autres ouvrant d'un seul... Pendant des années j'ai passé le plus clair de mes journées à les introduire dans la serrure. Parfois le pêne se mouvait d'un quart de tour, d'un demi même, pour s'arrêter brusquement, mon coeur battait la chamade...
Depuis quelques années je procède autrement. Avec une petite lime et des couverts détournés de leur usage, je bricole les clés qui me paraissent les plus adaptées à la serrure. Je creuse un redan, diminue un ergot, arrondis une gorge... Je n'ai encore pas réussi mais j'approche du but certainement, le succès et la liberté seront peut-être pour demain, qui sait ?
Cela me rend la captivité joyeuse, presque heureuse.

Ce texte a été publié dans le recueil "Le Hors-venu", aux éditions de L'Harmattan.


*


L'Académie

L'Académie des poètes de Qingdao, dans le Jinagxi, est très connue. Elle rassemble, dit-on, les meilleurs poètes de la province, certains disent même de toute la Chine ; et, y accéder est un grand honneur qui rejaillit sur les proches, un titre que l'on inscrit parfois même sur la porte du poète...
Quant à moi, Choun-si, j'écris des vers depuis l'âge de huit ans. Mes poèmes sont lus et chantés à quinze lieues à la ronde. Le forgeron de mon village prétend que j'écris aussi facilement que l'on parle. Et il est vrai que, en balayant ma maison par exemple, je rythme mes efforts par des vers que j'invente, de même quand je coupe du bois. Aussi les anciens de ma ville ont-ils proposé que je sois candidat à l'Académie qui, tous les cinq ans, recrute un nouveau membre.
Je fus convoqué à l'aube dans une petite salle fermée de tous côtés, deux chandelles seulement donnaient la clarté suffisante pour écrire. On me demanda d'improviser des poèmes sur les sujets les plus divers et les plus inattendus. Pas seulement le passage des oies sauvages ou la beauté d'un amandier en fleur, mais des sujets plus particuliers comme le vol de la chauve-souris, une inondation, la nage dans un étang en été... Je devinais aux réactions du valet qui transmettait mes poèmes que la noble assemblée était satisfaite de moi.
On me servit le thé dans une petite cour, en passant j'entrevis, à travers une tenture qui fermait mal, l'assemblée des poètes, des vieillards en robe noire ayant souvent à leurs pieds une canne. Avant de me libérer on me confia une oeuvre du Président, le vieux Chan-sa. Des poèmes conventionnels, sans imagination, avec même des fautes de versification. Et l'on me demanda de rédiger, selon l'usage, un hommage. Je le fis très prudemment. On me signifia bientôt pourtant mon échec. J'avais fait état du "talent" du vieux Maître et il fallait dire "génie". Je m'en retournai triste dans mon village en me disant que la poésie vaut mieux que les poètes.

Ce texte a été publié dans le recueil 'L'Autre maison", aux éditions de L'Harmattan.

 

in Casse n° 15

 

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Commentaires

Tu te lèves le matin, -ou en milieu d'après-midi t'es paumé- et tu te dis bien, tu te dis très fort que tu n'as aucune culture, aucune capacité à maitriser ton existence. Tu te sais minable. Tu le resteras toujours. Comme à chacun de ces instants où tu dis oui à ton supérieur avec cette pensée corsée imprégnée de violence.

La suite sur http://hirsute.hautetfort.com

Écrit par : Andy Verol | jeudi, 07 septembre 2006

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