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vendredi, 30 juin 2006

Jean-Pierre Brisset (in Casse n° 6)

Un auteur à redécouvrir...
JEAN-PIERRE BRISSET

Fabuleuse et fascinante curiosité littéraire, Brisset (1837-1919) quitte l’école à douze ans pour devenir garçon de ferme, apprenti pâtissier, avant de faire une carrière dans l’armée puis aux Chemins de fer. Grâce à Jules Romains, il sera élu en 1913 « Prince des penseurs ». Parmi ses publications, citons La grammaire logique et La science de Dieu, rééditées chez Tchou en 1970 et un recueil Le Brisset sans peine (Deleatur, 2001). Ses Œuvres complètes sont parues en 2001 aux Presses du Réel.
Sa méthode favorite est le jeu sur les mots, dont il extrait des sens de leur phonétique. En voici l'exemple le plus irréfutable: "La femme qui dit non refuse le nom de l'homme".

 

LA GRANDE LOI OU LA CLE DE LA PAROLE

Il existe dans la parole de nombreuses Lois, inconnues jusqu'à aujourd'hui, dont la plus importante est qu'un son ou une suite de sons identiques, intelligibles et clairs, peuvent exprimer des choses différentes, par une modification dans la manière d'écrire ou de comprendre ces noms ou ces mots. Toutes les idées énoncées avec des sons semblables ont une même origine et se rapportent toutes, dans leur principe, à un même objet. Soit les sons suivants :
Les dents, la bouche.
Les dents la bouchent.
L'aidant la bouche.
L'aide en la bouche.
Laides en la bouche.
Laid dans la bouche.
Lait dans la bouche.
L'est dam le à bouche.
Les dents-là bouche.

Si je dis : les dents, la bouche, cela n'éveille que des idées bien familières : les dents sont dans la bouche. C'est là comprendre le dehors du livre de vie caché dans la parole et scellé de sept sceaux. Nous allons lire dans ce livre, aujourd'hui ouvert, ce qui était caché sous ces mots : les dents, la bouche.
Les dents sont l'aide, le soutien en la bouche et elles sont aussi trop souvent laides en la bouche et c'est aussi laid. D'autres fois, c'est un lait : elles sont blanches comme du lait dans la bouche.
L'est dam le à bouche se doit comprendre : il est un dam, mal ou dommage, ici à la bouche ; ou tout simplement : J'ai mal aux dents. On voit en même temps que le premier dam a une dent pour origine. Les dents-là bouche vaut : bouche ou cache ces dents-là, ferme la bouche.

Tout ce qui est ainsi écrit dans la parole et s'y lit clairement, est vrai d'une vérité inéluctable ; c'est vrai sur toute la terre. Ce qui est dit dans une seule langue est dit pour toute la terre : sur toute la terre, les dents sont l'aide et laides en la bouche, bien que les autres langues ne le disent pas comme la langue française, mais disent des choses bien autrement importantes sur lesquelles notre langue se tait. Les langues ne se sont point concertées ensemble ; l'Esprit de l'Eternel, créateur de toutes les choses, a seul disposé son livre de vie. Comment a-t-il pu cacher ainsi à tous les hommes, sur toute la terre, une science aussi simple ?
C'est là la clé qui ouvre les livres de la parole.
Vous voyez bien que les livres sont ouverts, car les premiers livres sont les lèvres. Les lèvres ou les livres sont ouverts, puisque nous pouvons lire sur les dents et dans la bouche. On comença à lire la parole sur les lèvres et les sourds-muets l'y lisent encore.


LA SALOPERIE


Voici les salauds pris ; ils sont dans la sale eau pris, dans la salle aux pris, dans la salle aux prix. Les pris étaient les prisonniers que l'on devait égorger. En attendant le jour des pris qui était aussi celui des prix, on les enfermait dans une salle, une eau sale, où on leur jetait des saloperies. Là, on les insultait, on les appelait salauds. Le pris avait du prix. On le dévorait et, pour tendre un piège, on offrait du pris et du prix : c'est du prix. - C'est duperie, répondait le sage. N'accepte pas de prix, ô homme, c'est duperie.



OU A COMMENCE LA VIE DES ANCETRES

Par l'analyse des mots nous allons donc entendre parler les ancêtres qui vivent en nous et par qui nous vivons.
Voyons où ces ancêtres étaient logés : l'eau j'ai = j'ai l'eau ou je suis dans l'eau. L'haut j'ai = je suis haut, au-dessus de l'eau, car les ancêtres construisirent les premières loges sur les eaux. L'os j'ai = j'ai l'os ou les os ; on les mangeait où l'on était logé. L'ancêtre était carnivore. Le au jet = où je jette cet objet ; où est le jet d'eau, l'eau jet, je suis logé. Loge ai = j'ai une loge. La première loge (l'eau-jeu, l'eau je = l'eau à moi) était un lieu arrangé dans l'eau. Lot j'ai = je tiens mon lot. Etre logé est le lot naturel. Qui n'est pas logé a perdu son lot. L'auge ai = j'ai mon auge. La première auge était une petite mare (mare à boue, marabout) qui servait de loge. On fut donc dans le principe logé dans l'eau et à l'eau berge, sur la berge des eaux, à l'auberge ; dans les eaux t'es le = dans les hôtels.
Je suis dans l'eau séant, dans l'Océan. J'ai l'eau céans, au séant. L'ancêtre était assis dans l'Océan. En ce eau sieds-té = sieds-toi en cette eau. En seau sieds-té, en sauce y était ; il était dans la sauce, en société. Le premier océan était un seau, une sauce ou une mare, les ancêtres y étaient en société. Les mots, comme les hommes, ont une origine commune et chaque syllabe s'est référée à l'eau. L'eau a tout créé, même la parole, qui est de l'eau, puisque chaque mot prononcé produit une émission de vapeur d'eau. Que j'ai d'eau! criait aussi l'ancêtre, en lançant son jet d'eau naturel.
J'ai un l'eau, je mans, qui est devenu : j'ai un logement, nous montre le premier logement dans l'eau et que l'on y mangeait. Je mans valut : je mange. Me en j'ai = j'ai en moi. On offrait ainsi ce qu'on avait en soi, à sa bouche : Mans j'ai = mange ai. Celui qui ne voulait point obéir, répondait: mangé, j'ai mangé.
De quelle manière : je mans et y mans qui valaient : je mange, sont-ils devenus : je mens et il ment ? C'est là qu'il faut admirer la finesse de l'ancêtre menteur. Quand il voulait s'emparer d'une victime, pour l'attirer auprès de soi, il faisait semblant de manger et cela inspirait confiance : Au l'eau je mans ; au l'eau, je mens ? Au logement, je mange et ne mens pas. Le curieux espérait avoir sa part du manger et se trouvait alors happé et dévoré, car les gros mangeaient les petits. Ceux qui échappaient au piège, connaissant la tromperie, criaient donc aux autres : N'y va pas, il ment. Mentir, c'est tendre un piège et y appeler l'innocent. Savoir ce que les autres mangent est resté une des plus vives curiosités de l'esprit naturel.

 
LE ROI

Voyons maintenant le dieu se dresser et devenir un roi et un homme.
En roi = de roi ainsi que : en fer = de fer. Une barre de fer ou en fer, c'est tout un. Or, de roi = droit. L'inversion de de roi est roi de = roide. Droit ou roide, c'est analogue. Ce qui est roide est droit, ce qui est droit est roide. Un dialecte français nomme le roi : el rè ou le rè. Alors droit se dit dret et roide se prononce raide. Le rapport entre ces trois mots : de roi, droit et roide est donc bien évident, c'est d'une certitude mathématique.
Le premier qui se tint en roi, le de roi, fut le premier roi et doublement le droit. Il prit immédiatement autorité sur tout le marais. Les dieux, les diables et les démons reconnurent sa supériorité et tombèrent aussitôt au rang de vassaux, de maréchaux, de nobles, de prêtres, de clercs et de pitoyables laïques. Il n'y avait pas encore d'hommes sous les cieux, car le roi règne sur des sujets, des esclaves, des êtres qui rampent devant lui. L'homme, le roi de toute la terre, règne au milieu de ses égaux ; même la parole, qui est le vrai roi, gouverne au milieu de ses ennemis.


LA RESURRECTION DES MORTS

Pour ressusciter les morts, il faut trouver les tombeaux où ils ont été mis ; sans cette importante découverte, il est impossible de les ressusciter. Mais c'est dans la bouche des vivants que les morts sont au tombeau et nous allons le démontrer.
Comme on commença à dévorer les grenouilles dont les jambes forment la meilleure partie, les gens bons fournirent les premiers jambons. Des jambes ons = J'ai des jambes. On ne dit pas les jambes d'un pourceau, ce fut donc un ancêtre qui fournit le premier jambon. Les anciens gens bons devenus les bonnes gens sont les premières ressuscitées.
Le gigue os, le gigue haut, le gigot. Le premier gigot fut un os et un haut de gigue. Or, on ne dit pas la gigue d'un mouton. L'animal qui donna le premier gigot est celui qui danse la gigue, c'est l'homme ou son ancêtre.
Le cuisse os, le cuisse haut, le cuisseau, le cuissot. Les premiers furent des hauts de cuisse. Or, le veau ni le chevreuil n'ont de cuisses, la cuisse appartient à l'homme et à un sien ancêtre.
Les morceaux de viande les plus recherchés tirent donc leur nom de la partie du corps de l'ancêtre que l'on mangeait et même les hommes se mangèrent longtemps entre eux. Le premier ancêtre, le diable, dévorait ses propres enfants.

(extraits de La science de Dieu)
in Casse n° 6

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