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mardi, 20 juin 2006

Jacques Simonomis (in Casse n° 4)

Les buffets, de Jacques Simonomis

 

 

Les buffets
Nos buffets littéraires étaient toujours pleins : vétérans d'antichambres, placeurs de romans tsé-tsé, quêteurs d'araignée du soir, etc.
Soumis aux toasts à l'anaconda et aux gâteries au pili-pili, arrosés de tafia "Légionnaire", "5 sur 5" ou "Marche ou crève", j'observais les amis sincères.
On apportait les fourmis rouges, les mygales, les papillons. Les indiens Alphabêtas (inventeurs de l'Eldorado) chantaient nos louanges pendant que les aras chipaient les cacahuètes. Il y avait des scènes atroces.
A l'aube, nous entassions les survivants dans un grand pousse-pousse rose qui ne prend pas cher.

 

Le tatoué

Bébert était tatoué de la tête aux pieds. (Les ports sont durs pour les matafs bourrés). Un dragon logeait sur son torse. Un serpent lui ceignait les reins. Des filles offraient leurs croupes aux lazzis des collègues de douche. Sur ses fesses, deux diables tiraient la langue, prouvant par A+B les visions de madame Mac'Miche.
On ramassa son écorché dans une crique. Les filles s'éclaboussaient sous l'oeil du serpent tendre. Le dragon les couvait de ses membranes bleues et les diables pétaient pour éloigner les squales.

 

Les cabinets

Maintenant que la tempête avait arraché la porte des cabinets, il fallait profiter d'une accalmie sur l'avenue pour "aller", un journal déplié tenant lieu de pudeur.
On n'entend pas les gens en espadrilles... Un couple de retraités commentait les nouvelles... Je toussotai, remuai, tournai les pages... Ils se plièrent, penchèrent le chef, tordirent le col, attendant mieux. Je leur opposai les petites annonces, les avis nécrologiques, les assassinats du quartier. Rien n'y fit !
Comment mener son affaire dans ces conditions, surtout en province ? Brusquement, je retournai les deux pans du journal ! qui les bouscula, les cogna, les coinça, les lécha, les mordilla, les trouva miam, les dévora, rota, les digéra le ventre plat, avec une grande simplicité pour une ville moyenne.

in Casse n° 4

 

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mardi, 13 juin 2006

Gaspard Hons (in Casse n° 1)

L'ange pèse la pure beauté des choses, de Gaspard Hons

 

le voyageur abandonne ses bagages, le voyageur reprend la route, le voyageur se confond avec d'autres voyageurs, il prend place à bord d'une bulle de savon, il caresse le genou de l'amante, il lèche les yeux de l'amante, il suce l'orteil de l'amante, le voyageur parcourt les archives du bonheur, du désarroi, de la tristesse. Le voyageur prend appui sur l'horizon, sur la transparence de l'aube, sur l'éclipse du monde, le voyageur traverse la mémoire, le désir et le fond des choses. Le voyageur connaît de la beauté des choses, de la finalité des livres, le voyageur n'a jamais quitté ses bagages, n'a jamais quitté son corps, n'a jamais quitté ses doutes, le voyageur n'a jamais quitté ses illusions

la pure beauté des choses échappe à la logique des hommes, elle est folle la pure beauté des choses, elle n'est d'aucune utilité pratique, la pure beauté des choses se consomme comme la Campbells Tomato Soup. La pure beauté des choses s'endort au bord des piscines, traverse le mot utopie, trace des graffiti sur les murs des villes, envoie des cartes postales aux actrices de cinéma, la pure beauté des choses se confond avec la couleur verte du printemps, avec un envol d'oies, avec une étoile jaune, avec l'âge du monde, avec un tube de dentifrice. La pure beauté des choses, la compassion, le chant du merle, le remuement d'une feuille, la solitude,...menacent la sécurité des philosophes

entrons dans la maison, entrons dans la maison de la beauté, dans la maison des choses ; la maison parle, elle parle de la maison, de la beauté, elle parle des choses, elle parle de la parole, de la biographie de la parole, elle parle de la parole déchirée, de la parole meurtrie, de la parole oubliée. La maison vit à l'intérieur de la maison, elle ferme portes et fenêtres, elle caresse le chat, la maison ne pense à rien, elle cesse d'exister, elle perd la mémoire, elle respire mal, elle souffre, elle éteint la lampe, la maison suit sur l' écran la charge de la dernière brigade, le mot fin ne changera rien à l'ordonnancement du monde

 

in Casse n° 1

 

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lundi, 12 juin 2006

Casse, dix ans déjà...

Bientôt dix ans que la revue Casse a cessé sa parution, puisque son dernier numéro (21) date de décembre 1996. Elle n’aura duré que quatre ans. Pour ce presque anniversaire, je republie cet article de Marc Autret, paru dans Ecrire & Editer n° 7 (janvier 1997), qui analysait de manière lucide et précise les raisons de l’arrêt de la publication.
Quelques archives de la revue Casse ainsi que des inédits seront progressivement mis en ligne sur ce weblog.
JJN

 Nuel à la Casse

Jean-Jacques Nuel stoppe la parution de Casse, une petite revue littéraire d’information et de création qui paie chèrement, comme une entorse à saura-t-on jamais quel protocole, son manque de solennité. Notre apologie maison, pour titiller les tatillons une chtite dernière fois...
Bien que Nuel ne soit prophète qu’en son pays et que Casse coulât les jours tranquilles d’une revue sans-culotte et sans étendard, c’est bien en chef de file qu’elle a fêté sa victoire en 95 contre les décisions arbitraires de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), laquelle refusait borgnement de lui accorder un numéro d’inscription (cf. Casse n° 4 et n° 13-14, éditos), la condamnant ainsi à payer plein pot les services postaux. Comme l’indique Alain Nizet dans L’Écho du Calcre n° 108-109, le jugement du Conseil d’État sanctionnant l’«excès de pouvoir» de la CPPAP dans l’affaire Casse est bon pour faire jurisprudence et intéresse par conséquent tous les revuistes maltraités par cette administration.
Hors de cela, dès son numéro-pilote, Casse propose des textes remarquables (notamment de Gaspard Hons), mais son contenu extra-littéraire, échantillon rapidement prélevé dans la prose du «terroriste de réserve», provoque des prémisses d’irritations hyponasales chez les confraternels revuistes. Nonobstant sa mégalomanie souriante et parfaitement intolérable, cette canaille de Jean-Jacques Nuel divorce de la rébellion ordinaire et voilà qu’au lieu d’apprécier l’hermétisme touffu, au lieu de vomir à toute bride l’honnête homme et ses institutions - exception faite de TF1, restons soi - au lieu de rire de la belle sorte d’une fin du monde annoncée et de sombrer dans l’avant-garde épicière, bref, au lieu de marquer son territoire sur des bases intellectuelles solides, Nuel vote le contre-pied des contre-pieds en usage.
D’humeur saignante envers l’hypersécrétion maniacolittéraire, envers le culte de l’inédit, envers l’insularisme consenti des petites maisons d’édition ou les analyses intellos du genre de celle que vous êtes en train de subir, il se met à critiquer tout ce qui lui déplaît, comme ça, à course de plume, sans demander son reste. Pire, il communique à grand renfort de crobarts pas sérieux et de slogans amphigouriques. En devenant aux yeux de certains le «casseur énervant», le Renaud du revuisme, Nuel finit par étouffer malgré lui les textes qu’il aime, publie et défend dans sa revue. Le style chroniqueur-mitrailleur qui l’avait révélé dans la lointaine revue Esquisse lui colle aux basques comme du chewing-gum au cendrier froid de l’inconscient collectif ; alors même que l’animal cherche à se réfréner, à troquer l’empire des sens contre de fécondes sympathies littéraires. En sont témoins les dernières livraisons de Casse, par exemple le spécial «poésie des Canaries» du n° 19-20.
Ce qui est désespérant et symptomatique, c’est que dans ce qu’on appelle paradoxalement la «mouvance» revuistique, chaque objet est estampillé par la somme des premières impressions qu’il a provoquées. Ensuite, les choses ne bougent plus tellement. La forme d’une revue - et a fortiori d’une revue publiant des textes de création - semble ne pouvoir disposer que d’une marge très faible d’innovation et de conviction intime. Une petite revue qui s’efforce «d’être quelqu’un» tant qu’elle n’est pas institutionnelle, apparaît automatiquement comme une revue prétentieuse. Casse n’était pas une revue aussi prétentieuse qu’elle pouvait en avoir l’air. Elle énervait certains exactement pour les mêmes raisons qu’elle plaisait aux autres: on commençait à bien comprendre ce qui l’inspirait. L’instant charnière, crucial, où l’on devient prévisible... Nuel a renoncé à cet instant-là.
MA